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Les critiques de Bifrost

Time Opera

Time Opera

Robert SILVERBERG
LE BÉLIAL'
384pp - 21,00 €

Bifrost n° 35

Critique parue en juillet 2004 dans Bifrost n° 35

À l'instar de Philip K. Dick, Robert Silverberg fait partie de ces géants de la S-F beaucoup plus efficaces dans la nouvelle que dans le roman. Nombreux sont ses textes qui, pour des raisons souvent alimentaires, s'étirent sur de trop nombreuses pages pour un résultat certes correct, mais loin de l'excellence attendue. Mais si le procédé est courant, il n'en reste pas moins que les romans de Silverberg se lisent remarquablement bien. Fluidité du texte, intérêt des situations et personnages bien fichus y sont pour beaucoup, même si le scénario est souvent prévisible, voire franchement évident.

Réunis en un seul volume au Bélial', les deux romans qui composent Time Opera en sont l'illustration parfaite : deux variations passionnantes sur le thème ô combien cher à l'auteur du voyage temporel, mais trop longues et trop délayées. Une constatation d'autant plus amère que Silverberg promène agréablement son lecteur, lequel ne lâche évidemment pas le bouquin avant de connaître le fin mot de l'Histoire (ici, avec un grand H). Reste que le célèbre américain est un grand professionnel de l'écriture, et que ses textes, même moyens, sont souvent au-dessus de ce qu'on trouve ailleurs. Et puis, soyons honnêtes, on ne refuse jamais une louche de Silverberg sans passer pour un déviant.

Premier texte de cet omnibus plutôt épais, Les Déserteurs temporels se rapproche du célèbre Les Déportés du cambrien, dans la description d'une société policière et surpeuplée où l'individualité ne signifie plus grand-chose, et où un système de castes (les classes) cimente la pyramide sociale au sens propre. Quellen, flic haut placé mais dont la vie reste médiocre, est chargé par le gouvernement de traquer un certain Lanoy, inventeur désigné d'une machine temporelle, dont la spécialité est d'offrir aux dissidents un aller simple vers un passé moins dictatorial et plus agréable à vivre. Postulat scénaristique bien séduisant, d'autant que Quellen n'est lui-même pas tout blanc, avec quelques déviances anti-sociales à son actif, déviances qui lui feraient beaucoup de tort si, par malheur, on les apprenait en haut lieu. Bref, le lecteur s'en doute, Lanoy et Quellen ne sont finalement pas si opposés…

Beaucoup plus malin et globalement mieux conçu, Les Temps parallèles permet à l'auteur de décrire une ville qu'il connaît bien et qui le fascine : Byzance. Tour à tour capitale romaine, capitale chrétienne, capitale turque, aujourd'hui musulmane mais cosmopolite dans son architecture comme dans sa singulière (et tumultueuse) histoire. Alors que le voyage dans le temps est un loisir comme un autre (il suffit d'être riche), le lecteur suit l'apprentissage d'un jeune guide temporel affecté à la zone de Byzance. Couronnements, massacres, émeutes et vie quotidienne n'ont rapidement plus de secrets pour lui, tandis qu'il comprend peu à peu les tenants et aboutissants du voyage temporel. Si la patrouille veille (un clin d'œil à Poul Anderson, mais aussi l'une des plus vieilles idées S-F) pour éviter les désordres historiques provoqués par des clients parfois mal intentionnés, elle ne peut pas non plus surveiller tout le monde. Les guides le savent bien, ce qui leur permet de prendre quelques libertés avec les règles, libertés parfois funestes, surtout quand on tombe amoureux d'une célèbre ancêtre et que l'amour vous tourne la tête…

Écrits tous deux avant 1970, Les Déserteurs temporels et Les Temps parallèles ont pour eux le charme suranné de la libération sexuelle, des drogues libres et psychédéliques, sans jamais tomber dans un ridicule désuet. C'est tout à l'honneur de Silverberg d'éviter la quincaillerie concomitante au voyage dans le temps pour se consacrer avant tout aux personnages, même si certains pêchent par leur côté caricatural ou mal fini. Reste qu'une fois l'omnibus achevé, le lecteur est partagé entre plaisir et scepticisme. On l'a vu, ces deux romans feraient d'excellentes nouvelles, percutantes et intelligentes. Dilués dans une prose certes valable, mais néanmoins trop abondante, ils ne décollent jamais vraiment et se cantonnent au simple divertissement. Du divertissement de qualité, mais du divertissement quand même.

Patrick IMBERT

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