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Les critiques de Bifrost

Critique parue en juin 2001 dans Bifrost n° 22

Voici, au cœur même du genre, un pavé de pure S-F que l'on pourra comparer, mais que l'on se gardera de confondre, avec l'opus homonyme de John Varley. Un Titan hollywoodien face à un Titan « Kim Robinsonien ».

En effet, si Baxter a récemment co-signé au Rocher Lumière des jours enfuis avec Arthur C. Clarke, c'est qu'il est bien l'authentique successeur du vieux maître. Si la S-F de Baxter ne renvoie pas à celle de Varley — rien dans leurs déclinaisons respectives de l'exploration de Titan n'ayant quoi que ce soit à voir avec l'autre —, elle se tourne d'une part vers la « Trilogie Martienne » de Robinson et, de l'autre, évoque 2001, l'odyssée de l'espace, le chef-d'œuvre de Clarke et Kubrick dont Titan partage la thématique. À savoir, un vol habité vers Saturne à la recherche des prémices de la vie, avec la panspermie en toile de fond.

Au point de départ, un fait réel : l'arrivée sur Titan de la sonde Huygens en septembre 2004. De là, spéculation sur la découverte espérée de molécules prébiotiques — molécules chimiques complexes qui président à la vie.

Point de mystique clarkienne ici. Ni de HAL. Simplement, si Huygens donnait en 2004 un espoir sérieux de trouver de la vie sur Titan, que ferait-on ? Point de « Roue Spatiale » tournoyant sur champ d'étoiles et fond de valse ironique. Point de Freedom. Mir qui barre en rouille… Les fonds de pensions qui ne supportent aucune idée d'investissements à long terme… La conquête de l'espace, c'est du passé. L'Étoffe des héros et Apollo 13 sont des œuvres historiques. La Terre est peuplée — ou le sera bientôt, à fortiori en 2004 — d'une majorité de gens qui n'ont pas pu assister à une marche lunaire depuis leur naissance. Alors ?

Les conservateurs qui gèrent et profitent des fonds de pensions ainsi que leurs alliés écolos veulent mettre fin à la gabegie spatiale. Jake Hadamard est un de ces cadres, spécialisés dans le démantèlement d'entreprises qui permettent à la spéculation de flamber au nom d'une rationalisation de la production, très prisés des administrations libérales où l'on aspire à l'arrêt total de l'activité. Il a été placé à la tête de la NASA pour en finir. Le projet de Paula Benacerraf et Rosenberg d'un vol habité vers Titan va lui permettre de brûler tous ses vaisseaux et de tuer le rêve une fois pour toute.

Toutes les navettes, et des Saturn V restaurées pour l'occasion, sont utilisées pour lancer un équipage vers Saturne. Six années de voyages et de drames avant de toucher Titan…

Il est clair que nous sommes en présence de 700 pages de hard science, d'une écriture froide et technique. Destiné à ceux qui ont apprécié son précédent ouvrage, Voyage (même éditeur), Titan vise un public ciblé qui va adorer. Les autres ne le finiront probablement pas. Quoi de plus lent, monotone et routinier, qu'une trajectoire orbitale de six années dans un engin pas plus grand qu'un Airbus ? Et pourtant, Baxter s'en tire haut la main.

Roman de genre moderne, Titan est remarquable de précision. Trop, diront ses détracteurs. Peut-être. C'est un roman de spécialiste selon la mode ; un ouvrage qui est à l'ingénieur en aéronautique (l'autre métier de Baxter) ce que le legal thriller est à l'avocat. L'imaginaire tient ici peut de place, à l'inverse du souci de restitution du réel. Ce qui n'empêche pas le sense of wonder d'être au rendez-vous. Et puis, à défaut de suspense, il y a le drame, la tension de l'inéluctable et l'apothéose des héros… Surtout, Titan est un roman intelligent qui ouvre nombre de débats sur la place de la technique et de la science et leurs rôles dans l'avenir de l'Homme. La place fait ici cruellement défaut pour débattre, mais on en redemande.

Jean-Pierre LION

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