Alex D. JESTAIRE
AU DIABLE VAUVERT
784pp - 20,00 €
Critique parue en novembre 2007 dans Bifrost n° 48
Tourville m'a tuer. Tel pourrait être le titre (faute d'orthographe comprise) de cette chronique tant la lecture des 774 pages de ce premier roman de Alex D. Jestaire a été pénible. C'est évidemment une chose de l'affirmer de manière lapidaire (c'est même facile), reste à le justifier (et là, cela devient plus délicat). Commençons par l'histoire. Jean-Louis Nabucco, un jeune intermittent du spectacle quasi-clochardisé, regagne sa ville natale, la fameuse Tourville, après six ou huit années de galère à Paris. À vrai dire, le bougre semble cérébralement diminué puisqu'il ne se rappelle plus de manière certaine que des deux dernières semaines. Ce n'est pas tout à fait par hasard qu'il entreprend ce retour aux sources. Trois courriers (et peut-être aussi le fait que l'ami qui l'hébergeait l'ait, gentiment mais fermement, expulsé) ont motivé sa décision. La première lettre est une notification de fin de droit des Assedic, la deuxième une convocation de la police pour l'obliger à régler l'ardoise qu'il doit à la RATP, et la troisième provient de son ami d'enfance Seb Goupil. Elle contient une coupure de presse qui annonce la mort violente du Goupil, et une clé. Ah oui, J'allais oublier, Jean-Louis est un boulet, un mec très lourd, une machine à paroles que l'on n'arrête pas. De surcroît, il est malchanceux, très malchanceux. Pour preuve, sa carrière d'intermittent n'a été qu'une brillante succession de coups pourris mais il faut bien avouer qu'il les cherche un peu… Bon, voici brièvement restitués les ingrédients qui constituent l'argument de départ de Tourville. Après ? Autant le dire tout de suite, l'histoire part en vrille… grave. Toute tentative de rationalisation est vouée à l'échec. Le personnage narrateur, le fameux Jean-Louis, essaie bien fugitivement de renouer le fil (dans les chapitres intitulés « Le Venise » au début de chaque partie), cependant, cela ne fait pas le poids face à la frénésie des événements qui s'enchaînent jusqu'au dénouement cataclysmique. Et ce n'est pas le style qui nous facilite la tâche. En effet, le récit se présente comme un long monologue décousu et perclus de tics (phrase en majuscules et en franglais, expressions récurrentes, grande liberté avec l'orthographe…). La ponctuation est réduite au strict minimum — seuls les points permettent au texte (et au lecteur) de respirer —, le phrasé est nerveux et le débit confine à l'abattage. Le délire du narrateur est émaillé de références télévisuelles (le Loft, la Star Ac', de nombreuses séries…), cinématographiques (en particulier David Lynch) et musicales (avec une préférence affichée pour les rythmiques hypnotiques). Au passage, la lecture de la table, en fin d'ouvrage, révèle un découpage du roman à la manière de l'intégrale en DVD d'une série télé. L'ensemble fait sourire et n'est pas dénué de fulgurances visuelles. Le GROS problème, c'est que cela dure 774 pages (rappelons-le) ! J'avoue personnellement qu'au bout de trois cent pages, les outrances de toute sorte ont fini par me lasser sérieusement (pour ne pas dire : par me gonfler). Je me suis surpris à zapper… pardon, à sauter les pages par paquet de dix. Bien sûr, on pourra me rétorquer que la forme sert le fond… Justement, quel fond ? Un gonzo reportage sur la fin du monde (dixit la quatrième de couverture) avec pour décor la cité imaginaire de Tourville — véritable condensé du mode de vie urbain contemporain, addictions et névroses comprises. Une fin du monde en direct ou presque, ludique, jouissive, pixélisée, déréalisée en attendant la mire de fin de programme. Une vision supplémentaire de la fin de notre civilisation, ici mise en scène comme une petite mort dont nous sommes les spectateurs et les acteurs par un effet de télé réalité. Une vision de surcroît déjantée, comme il se doit… Hélas, l'indigence du propos peut souvent être masquée par un style déjanté. Par prudence, je n'irai pas jusqu'à dire que ce premier roman de Alex D. Jestaire est vain. Personnellement, il ne m'a simplement pas parlé ou beaucoup moins que, par exemple, Thomas Gunzig (notamment avec son roman Mort d'un parfait bilingue). Mais « quand on est au pays des ombres faut pas trop se poser de questions et juste se concentrer sur son pouvoir d'achat ». Ah tiens ! J'ai retenu quelque chose, finalement.