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Les critiques de Bifrost

Ubik

Ubik

Philip K. DICK
UGE (UNION GÉNÉRALE D'ÉDITIONS)
288pp - 7,50 €

Bifrost n° 18

Critique parue en mai 2000 dans Bifrost n° 18

Tous les univers de la science-fiction sont dans Ubik.

Des nouvelles inédites du monde entier, une partie rédactionnelle sérieuse et rigoureuse, des infos sur toutes les conventions et les critiques de toutes les nouveautés.

Fongus de Ganymède et autres Bleeks martiens, Ubik est la revue qu'il vous faut.

Sans danger pour la santé mentale si lu dans le bon sens.

En 1966, Dick rédige Death of an Anti-Watcher (« Mort d'un anti-guetteur »), qui paraîtra en 1969 sous le titre d'Ubik. C'est la France qui, comme souvent, accueillera avec le plus d'enthousiasme le roman lors de sa parution en 1970 chez Laffont (les fameuses couvertures argentées). « Texte phare », « chef-d'œuvre », les qualificatifs ne manquent pas à propos de ce livre qui termine fréquemment numéro 1 lors des référendums demandant aux lecteurs leur roman de S-F préféré.

Imaginez maintenant la surprise d'un adolescent de 14 ans, dans les années 90, découvrant un roman que tous considèrent comme une œuvre majeure du genre qu'il affectionne. Il a lu et entendu tellement de bien à son propos qu'il ne peut qu'être déçu ; c'est inévitable.

Et pourtant…

Dès le départ, il se montre intéressé par le problème de Glen Runciter. Il trouve fascinant le concept de semi-vie permettant à Ella, la défunte femme de Runciter, de communiquer avec le monde extérieur. L'idée de groupes de télépathes se combattant, bien que peu originale, lui paraît intéressante. Et puis, il y a Joe Chip, le prototype du personnage insignifiant qui travaille dans l'équipe de Runciter et qui lutte sans cesse contre ses appareils ménagers et contre sa porte qui ne veut jamais s'ouvrir. Les leitmotive dickiens sont là, avec le changement de réalité qu'opéré le pouvoir psy de Pat Conley le conapt et Jory l'enfant en semi-vie qui perturbe les communications du Moratorium où se trouve Ella. Bref, l'exposition est drôle, bizarre et ne déçoit pas l'adolescent.

Tout va vraiment débuter avec l'arrivée sur la Lune de l'équipe de Runciter, dont la mission est de contrer le groupe concurrent, celui de Ray Hollis. Mais l'affrontement tant attendu par le jeune homme n'aura pas lieu. Le combat de pouvoirs psi avorte (en même temps que l'intrigue échafaudée par Dick) avec l'explosion d'une bombe qui tue Glen Runciter et oblige son équipe à le rapatrier sur Terre et plus précisément dans le Moratorium, aux côtés de sa femme. C'est à ce moment-là que le jeune lecteur commence à comprendre le pouvoir de fascination qu'exerce le livre qu'il est en train de lire. Il n'a jamais été confronté à cela auparavant et il n'est pas au bout de ses surprises. Tous les personnages vont devoir maintenant lutter contre l'entropie (autre leitmotiv dickien), adversaire qui réduit certains d'entre eux, au sens propre, en cendres. Le roman n'est plus qu'une course contre la montre dans laquelle les protagonistes essayent de sauver leur peau alors que leur environnement régresse.

C'est sous forme de graffiti qu'une partie de la vérité va apparaître à Joe Chip et que l'adolescent va enfin rallier le camp de ceux qui ont lu le livre et qui hurlent à qui veut l'entendre qu'Ubik est un chef-d'œuvre !

Le retournement de situation paraît, avec le recul, être une ficelle maintes fois utilisée, et pourtant… Le roman est tellement passionnant que Dick manipule son lecteur du début à la fin avec une rare maestria. Le choc de la première lecture passée, l'adolescent se replonge dans le texte en se disant qu'après tout, il n'y a qu'un peu d'esbroufe, de poudre aux yeux dont l'auteur se sert pour faire monter la sauce. Encore une fois, il doit se rendre à l'évidence, Ubik est beaucoup plus complexe qu'il n'en a l'air. Les coups de théâtre ne sont pas là pour masquer un manque de fond mais participent, au contraire, à l'opacité, au malaise dont sont pris les protagonistes et, par ricochet, le lecteur. La bouée de sauvetage qu'est l'entité Ubik n'a que peu (on pourrait en discuter longtemps) de connotations religieuses et reste un des concepts les plus fascinants créé par Dick, tout au moins dans la forme qu'elle revêt. La construction narrative non linéaire est un essai transformé par un auteur en quête de renouvellement. Pour autant et en cherchant bien, le texte n'est pas exempt de certains défauts dus à des tics d'écriture dickiens que viennent combler et ensevelir la puissance dévastatrice et novatrice des idées de l'auteur.

Mais l'adolescent de 14 ans, quant à lui, lit ou relit toujours des livres de Dick et reste convaincu que plus jamais il n'aura un choc comparable à celui qu'il a eu à la découverte d'Ubik. Il continue pourtant de rêver…

Ah, au fait… l'adolescent n'est pas celui que vous croyez : je suis lecteur et vous êtes critiques !

Laurent QUEYSSI

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