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Les critiques de Bifrost

Un choeur d'enfants maudits

Un choeur d'enfants maudits

Tom PICCIRILLI
FOLIO
306pp - 9,40 €

Bifrost n° 45

Critique parue en janvier 2007 dans Bifrost n° 45

Vraie bonne surprise du côté des inédits Folio « SF », Tom Piccirilli fait une entrée fracassante sous nos longitudes. Malgré une fin artificielle qui semble plaquée sur le roman, Un Chœur d'enfants maudits reste un livre exceptionnel dont la petite musique (forcément poisseuse et empoisonnée) hante longtemps le lecteur. Les livres capables d'influer de manière radicale sur notre humeur sont rares, et celui-là en fait clairement partie. Via une écriture dont la densité et l'intelligence frisent le génie (on notera au passage la traduction de Michelle Charrier, à tomber), Tom Piccirilli plante son décor moite, un décor qui a tout d'une Louisiane à la Freaks revisitée par un Lucius Shepard défoncé au whisky (gare à Louisiana Breakdown, à paraître au Bélial' en septembre 2007 !). Une petite ville paumée dans les marais loin des autoroutes, des villes et de la civilisation. Des vieilles folles qui jouent aux sorcières et qui suivent des traditions curieuses en mijotant d'infâmes mixtures sensées protéger le bled du malheur. Un jeune homme, Thomas, beaucoup plus anti que héros qui fait office de seul narrateur et de seul oasis de santé mentale. Ses trois frères siamois reliés par le crâne et dont l'unique tête cyclopéenne parle avec trois bouches en suivant les lois anarchiques de trois personnalités entrelacées (avec une vie sexuelle exaltante qui, aussi étonnant soit-il, n'a rien du malsain, mais louche plutôt du côté de la bluette innocente et romantique). Et au milieu de tout ça, une suite de personnages malades, camés, bourrés, crétins et neurologiquement morts. Avec un Thomas obligé malgré lui d'assumer un héritage paternel encombrant (de l'argent, une fabrique, une intelligence douloureusement adéquate), des fantasmes sexuels plus ou moins oniriques, le souvenir d'une grand-mère clouée au mur de l'église par une faucille, sans oublier celui, récurrent, d'un tueur d'enfants qu'il a abandonné en plein marais pour laisser les crocodiles s'en occuper tout seuls comme des grands… Bref, la vie n'est pas simple, vraiment pas.

Malgré une histoire qui s'appuie sans doute trop sur le bon vieux principe de la révélation pour tenir le lecteur en haleine, Un Chœur d'enfants maudits est un incroyable roman d'ambiance que les personnages ne font somme toute que traverser. Ici, rien n'est évident et tout se mérite. Chaque micro-événement est porteur d'une signification profonde et ne sera pas sans conséquences. Chaque élément s'agence comme une pièce de puzzle, et au lecteur d'assister impuissant à la tragédie quotidienne qui se déroule sous ses yeux comme une mauvaise pièce de théâtre (écrite par un fou, jouée par des idiots et qui ne signifie rien, comme dirait l'autre).

Mais là où le bébé de Piccirilli touche de près l'étiquette chef-d'œuvre, c'est dans le traitement impeccable de son histoire. Le sérieux est de bon aloi, l'absurde maître et le second degré permanent. Vous croyez avoir affaire à un vague roman vaudou à l'ambiance humide ? Vous avez raison. Et vous ne pourriez pas vous tromper davantage.

De notre côté, nous avons choisi. Un Chœur d'enfants maudits est tout simplement indispensable. Tout comme l'urgente traduction des autres œuvres de Piccirilli. Qu'attend-on ?

Patrick IMBERT

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