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Les critiques de Bifrost

Wastburg

Cédric FERRAND
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
288pp - 26,40 €

Critique parue en janvier 2012 dans Bifrost n° 65

Sous une géniale illustration de couverture qui, avec ses flous artistiques, vous accroche le regard de façon quasi hypnotique, à tel point qu’une fois que j’ai eu pris le livre en main, il m’a été impossible de le reposer de crainte qu’un très hypothétique autre client ne vienne me le ravir et qu’il me faille attendre… J’étais allé à la librairie pour le nouveau Timothée Rey mais c’est Wastburg qui m’a sauté dessus ! La plus belle illustration depuis… depuis longtemps. Il m’a fallu ce bouquin sur le champ.

A 26 euros, pour un livre non traduit, c’est un brin chérot. L’éditeur faisant, à juste titre, le calcul qu’en vendant son produit vingt pour cent (cinq euros) plus cher que le prix standard ordinairement pratiqué, il n’en vendra pas beaucoup moins et consolidera sa trésorerie. Ce qui est de bon ton dans la perspective de voir durer une maison produisant des choses fort intéressantes. De plus, les bouquins sont de beaux objets avec rabats…

Wastburg est le premier roman de Cédric Ferrand, la nouvelle découverte d’André-François Ruaud, le bélier des Moutons électriques. Un roman sans héros si ce n’est Wastburg elle-même.

Wastburg est une cité franche coincée dans le delta d’un fleuve, entre le Waelmstat dont la culture domine la cité, et la Loritanie dont les ressortissants sont plus ou moins réduits à la portion congrue. A Wastburg, ce n’est pas encore la Renaissance, mais le Moyen Age y compte ses dernières heures telles que l’auteur nous le conte. En quinze chapitres qui sont autant de vignettes sur la vie de la cité, de ses gens de peu et autres margoulins de tout acabit. Wastburg est une sorte de fix-up sans en être un ; un roman mosaïque dont la somme transcende largement les diverses parties qui auraient pu être données à lire ici ou là comme autant de nouvelles indépendantes. Petit à petit, on voit l’ensemble prendre forme, s’agencer et le motif final se révéler comme un puzzle à l’ajout de chaque pièce nouvelle. On sent, davantage qu’on ne le voit, transparaître un de ces évènements majeurs qui marquera à jamais l’histoire de la ville d’où la magie à foutu les bouts depuis quelque temps déjà. Même quand l’air est plombé dans sa puanteur par le soleil, on sent le vent du changement souffler sur Wastburg. Les personnages apparaissent et disparaissent, passant fort aisément de vie à trépas d’un chapitre à l’autre, chacun apportant sa petite touche, insignifiante en soi, à l’ensemble. Peu des personnages que Cédric Ferrand nous donne à croiser dans les ruelles obscures de la cité connaîtront une fin paisible à un âge avancé…

La quatrième de couverture nous parle de « crapule fantasy » en spécifiant « comme si San-Antonio visitait Lankhmar » ; c’est dire que Ferrand, après Jaworski, écrit sa fantasy en usant de l’argot. Parce que tant Fafhrd et le Souricier Gris que Conan étaient déjà, depuis les années 30 pour le second, de fieffées crapule sans parler du Kane de Karl Edward Wagner… Sans être mauvais, loin s’en faut, Ferrand ne me semble pas aussi bon que Jaworski. L’argot, notre argot, semble plaqué sur l’histoire comme par un coup de « chercher et remplacer partout » le bon français par l’argot. Par exemple, on peut lire : « Il y a trop d’encre dans ce commerce, ça le désoblige. » p. 154. Ça sent son Audiard à cent pas, une phrase comme ça !

Reste encore une question que pose ce genre de fantasy médiévale avec très peu de « merveilleux noir ». Pourquoi « simplement » une fantasy située dans une ville imaginaire plutôt qu’un vrai roman historique, tel que Cadix ou la diagonale du fou de Arturo Perez Reverte, même si l’espagnol reconnaît prendre quelques libertés avec la réalité historique, qui aurait l’avantage, outre l’attrait romanesque indéniable de Wastburg, de faire œuvre culturelle ? Bien sûr, au talent de romancier, il faut ajouter le travail pas forcément folichon de l’historien. On a entendu Pierre Pelot parler des recherches qu’il avait dû faire pour savoir comment on envoyait un courrier dans la région de Remiremont (88) à l’époque où il situait l’action de son roman-fleuve, C’est ainsi que les hommes vivent. Pourquoi donc ne pas écrire du roman historique quand le merveilleux qui caractérise la fantasy s’est fait la malle ? Du coup, Wastburg ne s’extrait pas du champ du divertissement, quoiqu’un divertissement de premier choix. Le mieux étant l’ennemi du bien, il n’y a nul lieu de se priver du plaisir qui nous est ici offert

Jean-Pierre LION

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