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Les critiques de Bifrost

Windhaven

Windhaven

Lisa TUTTLE, George R.R. MARTIN
J'AI LU
432pp - 8,00 €

Bifrost n° 67

Critique parue en juillet 2012 dans Bifrost n° 67

Les deux premières parties de ce roman en forme de triptyque furent publiées à l’origine, aux USA, dans la revue Analog comme deux longues nouvelles en 1975 et en 1980. La dernière partie donna sa forme définitive à ce roman que l’on peut voir comme une trilogie en un seul volume. Trois récits qui découlent inexorablement l’un de l’autre pour retracer le destin d’une héroïne…

Mille ans après un naufrage stellaire, Mariss, fille d’un pêcheur disparu en mer, vit pauvrement avec sa mère sur Ambrée Mineure, l’une des nombreuses îles qui émaillent l’océan infini de Port Aux Tourmentes, où s’est instaurée une société plus ou moins féodale. Sur ce monde battu en permanence par des vents violents et dont la mer sans fin est hantée par des monstres voraces, la navigation est des plus périlleuses ; aussi les communications sont assurées par les Aériens : une caste fermée de femmes et d’hommes volants dont les ailes ont été taillées dans la voile solaire du vaisseau spatial naufragé. Irremplaçable, chaque paire d’ailes perdues affaiblit d’autant la société dans son ensemble. Cette menace semble encore trop lointaine pour que l’on en prenne conscience et s’en soucie au point de remettre en cause une tradition séculaire qui veut que tout Aérien transmette ses ailes à l’aîné de ses enfants lorsque celui-ci atteint sa majorité. Dans de rares cas, les ailes sont transmises à un puîné ou un pupille lorsque l’Aérien est resté sans descendance.

Enfant de rampants, Mariss n’a aucun espoir de devenir Aérienne, mais elle ne rêve que de vol. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, la chance lui sourit quand l’un des Aériens de l’île qui n’a pas d’enfant est victime d’un accident qui lui interdit de voler. Mariss peut alors réaliser son rêve et devient vite une Aérienne experte. Mais la chance est capricieuse, et comme les vagues, elle va et vient… Elle est venue avec l’accident de Russ. Elle s’en va avec la naissance sur le tard de Coll, fils de Russ, à qui reviendront les ailes à sa majorité. Ainsi le veut la tradition. Mariss pourrait se résigner à l’effondrement de son rêve si Coll voulait de ces ailes, mais il n’en veut point. Il a peur et n’a aucun talent d’Aérien. Il veut faire ce pour quoi il est doué : être barde. Mais la tradition est inflexible, les ailes doivent lui revenir quitte à ce qu’il se tue et les perde dans l’infini de l’océan. Aussi Mariss va-t-elle défier la tradition. La face de Port Aux Tourmentes s’en trouvera à jamais changée…

Parmi les légendes de Port Aux Tourmentes, il y a celle d’Aile-en-bois. Rampant destiné à ne jamais recevoir une paire d’ailes mais en rêvant plus que tout, il se fabriqua de magnifique ailes en bois, se rendit à la falaise des Aériens, se lança dans les vents… pour s’écraser sur les rochers et mourir. Alors les Aériens présents prirent son pauvre corps disloqué et allèrent le jeter en mer ainsi qu’il sied à l’un des leurs. Aussi l’école de vol créée par Mariss prend-elle le nom d’Aile-en-bois. Mais les Ailes-en bois ont peu de moyens et ne peuvent s’entraîner comme les enfants d’Aériens Nés-Pour-Les-Ailes, et les Aériens défiés conservent-ils leurs ailes face aux Ailes-en-bois. Seul Val en remportera une paire en défiant une Aérienne en deuil qui se donnera ensuite la mort. Jamais les Aériens ne lui pardonneront. Il n’en a que faire ! Son histoire personnelle a fait naître en lui une haine implacable des Aériens qui l’ont affublé du surnom méprisant d’une-Aile, lequel sera étendu à tout rampant ayant remporté des Ailes.

Dans la dernière partie, la tradition continue d’être bousculée : les une-Aile ne volent pas forcément au-dessus des messages qu’ils transmettent, ils restent proches des rampants dont ils sont issus. A la suite d’une chute dans une tempête qui la laisse incapable de voler à tout jamais, Mariss essaie de se faire une nouvelle vie, sans aile, sur Thayos, où l’histoire en marche va la rejoindre.

George R. R. Martin n’est pas un écrivain spéculatif en dépit de quelques textes aussi remarquables que « Par la croix et le dragon »… C’est un auteur de fictions populaires de divertissement, certes, mais de diver-tissement de très haut de gamme. Selon la quatrième de couverture, Lisa Tuttle a créé nombre de personnages féminins plus impressionnants les uns que les autres et, manifestement, celui de Mariss ne déroge en rien à la règle, quoique Martin ait démontré qu’il n’avait besoin de personne en la matière. Les auteurs ont su créer, avec Port Aux Tourmentes, un de ces mondes océaniques qui font les choux gras de planet operas parmi les plus réussis, les plus denses. Ils ont su nous le faire ressentir, éprouver, bien davantage qu’ils ne nous le montrent. Quelques portions de rivages ici et là ; des salles de réunions ou d’auberge, quelques habitats et c’est tout. Pourtant, tout au long du livre, quasiment à chaque page, on ne cesse de ressentir toute l’âpreté de ce monde. On se prend à en sentir le sel sur les lèvres ; lire Windhaven (le titre VO repris par J’ai Lu pour la réédition en format de poche), c’est un peu comme faire de la moto sous la pluie… Tout est dans la sensation. Cette sensation des courants d’air et des vents qui permettent aux Aériens de chevaucher les ouragans.

C’est peut-être dans ce superbe roman qu’Alain le Bussy a trouvé l’inspiration de sa trilogie d’Aqualia (Deltas, Tremblemer, Envercœur), l’une des plus belles réussites des derniers temps du Fleuve Noir « Anticipation » dont le premier tome reçut le prix Rosny Aîné. Beaucoup d’éléments le donnent à penser…

Elle qui Chevauche les Tempêtes / Windhaven dépasse aisément le seul cadre de ses personnages, au premier rang desquels Mariss, bien entendu. Mais, on le sait, et les lecteurs du Trône de fer plus encore, c’est dans l’attention apportée par Martin aux personnages secondaires que réside l’une des qualités principales de son écriture qui fait la force de ses livres. En ce sens, Val une-Aile, qui n’a pas le plus beau rôle sans être aussi noir que Cerseï (Le Trône de fer), est exemplaire, son comportement s’explique par son histoire. Ce qui, dans la première partie, apparaît de prime abord comme une faiblesse de l’intrigue : quand un Aérien ne peut plus voler comme Russ, ou renonce à ses ailes comme Coll, le maître de terre en reçoit la garde en attendant de pouvoir les donner à un Aérien compétent. Elles pourraient donc revenir à Mariss. C’est l’orgueil traditionaliste de Corm qui s’y oppose et l’amène à demander une sanction disproportionnée à l’encontre de Mariss à qui il tiendra rancune sa vie durant.

Au sein d’une œuvre où rien n’est à jeter, le présent roman reste l’une des pièces

[Lire l'avis de Claude Ecken dans le Bifrost n°17.]

Jean-Pierre LION

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