Bifrost n° 117
« Hors normes, hors cadres, hors champ. L’œuvre comme l’homme. Le critique canadien John Clute a dit d’Harlan Ellison (mai 1934 - juin 2018) qu’il “écrivait à pleins poumons”. Une manière élégante de souligner combien lire Ellison, c’est souvent prendre un direct à l’estomac — ou plus bas. Travailleur acharné, exigeant envers lui-même et les autres jusqu’à l’excès, sincère et sans filtre, considéré comme un génie par beaucoup, comme un connard égotique et violent par certains, il ne laissait personne indifférent. “J’ai marché de Selma à Montgomery aux côtés de Martin Luther King. J’ai travaillé avec César Chávez dans la vallée de Coachella pendant la grève des pamplemousses. J’ai affronté le Ku Klux Klan, j’ai donné des milliers d’heures de conférences en faveur de l’amendement sur l’égalité des droits à l’époque où nous cherchions à le faire adopter par le Sénat…” Ellison était de cette trempe d’écrivains qui, à l’instar d’un Ernest Hemingway, considèrent qu’il faut “avoir fait” avant de raconter, et estiment que l’engagement et la conviction sont les fondements même d’une œuvre littéraire. “Je crée des récits. Je suis un écrivain. […] Je n’aspire qu’à ça et, par essence, c’est tout ce que je suis.” Son œuvre est pléthorique. Très peu de romans, mais des nouvelles par centaines, des scénarios pour quantité de séries télé, de Star Trek à Babylon 5, des articles et des essais en pagaille, Ellison nous laisse en partage une œuvre unique, brûlante, et d’une actualité qui, par certains aspects, n’a jamais été si criante. Une œuvre politique, en somme, engagée jusqu’à l’os, un coup de pied dans la fourmilière de la bien-pensance généralisée, du conservatisme et du repli identitaire ambiant. Une arme de destruction massive plus que jamais nécessaire. À l’assaut : lisons Harlan Ellison ! »
Olivier Girard