Averse cosmique
(2011)
Oubliant qu’il se trouvait à 50 000 unités astronomiques de la Terre, Linus Archibald Benedetti batifolait dans la neige fraîche comme aux plus belles années de son enfance.
Profitant de la micro-gravité, le géophysicien alternait bonds et cabrioles, envolées et pirouettes dignes d’un trapéziste de cirque. A chaque fois que ses bottes reprenaient contact avec la neige, un nuage de flocons s’élevait majestueusement dans la nuit.
Les flocons atteignaient des hauteurs insoupçonnées, puis mettaient des heures à retomber. Les premiers de ces nuages — ceux qu’il avait créés en sortant du camp de base, une demi-heure auparavant — étaient encore visibles. Figés à différents stades de dissipation, ils balisaient son périple le long des filins de sécurité comme autant de spectres emmaillotés dans leur linceul de neige.
Abstraction faite du scaphandre dont il était revêtu et de la pesanteur, Linus aurait pu se croire sur Terre, par une froide nuit d’hiver. Aucune irrégularité, dune ou congère, ne troublait l’uniformité du manteau neigeux. Dans le ciel dépourvu d’atmosphère, l’éclat des étoiles blessait les yeux. L’une de ces étoiles, en direction de Persée, attirait l’attention par sa brillance légèrement supérieure aux autres : le Soleil, l’astre du jour des terriens, rendu insignifiant par la distance.
Les constellations étaient familières, quoique orientées différemment par rapport à la Terre. Un quartier de lune fantomatique rasait l’horizon oriental. Quasiment invisible du fait de l’éloignement du Soleil, le satellite de la nouvelle planète ressemblait comme un frère à celui éclairant les nuits terrestres. Même taille, même distance à la planète-mère, et surtout, mêmes configurations géologiques.
« Alors, professeur Benedetti, on s’éclate?? »