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(2010)
Je la regarde. Elle est mon temple, et ma source, et l’autel de mon sacrifice. Je la regarde et mon ventre se tord et me brûle. J’ignorais avant de la trouver que l’amour c’était aussi la douleur.
Elle dort, mais jusque dans le sommeil elle ne connaît pas le repos. Ses membres ont le mouvement lent d’un grand poisson des profondeurs dans le sombre océan de nos draps bleu de Chine.
Elle est si blanche. Je tremble à l’idée de la perdre. Je rêve souvent que son corps tombe en cendres entre mes doigts. Elle boit mon cri sur ma bouche et me berce. Je suis forte, me dit-elle. J’ai survécu. Et maintenant, tu es là : rien ne peut plus m’arriver.
Elle dit cela, et ses yeux sont froids et solides, et je détourne mon regard. Je voudrais la croire. Natassia, ma survivante. Natassia, au nom d’emprunt choisi pour les faux papiers qui ont sauvegardé sa fuite. Natassia qui assure : je n’ai plus de nom. Ma vieille identité est restée là-bas, au Kazakhstan, avec mon sang et mes larmes.
Je regarde courir sur sa peau les serpents de nacre des cicatrices et je pleure, honteux de mon insistance, de ma volonté de tout savoir d’elle, jusqu’aux sévices passés. Je voudrais connaître l’identité de ses bourreaux, les traquer, puis les marquer un à un, comme ils ont marqué tant de petites filles, en promenant longtemps sur elles un fer rougi au feu.
Extrait du livre La Créode et autres récits futurs.