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Les critiques de Bifrost

Critique parue en avril 2015 dans Bifrost n° 78

Franck Manuel n’y est pas allé avec le dos de la cuiller. Dans le monde futuriste et souterrain de 029-Marie, les relations sociales sont régies par le très strict Code du comportement. Celui-ci stipule, notamment, que les contacts physiques sont interdits. Les transports en commun donnent donc un spectacle similaire à quelque chorégraphie hollywoodienne des années soixante où chaque citoyen angoissé effectue son petit ballet pour éviter de toucher ses voisins directs de quelque manière que ce soit. Au moindre frôlement, l’affront et le dégoût de l’autre doivent être jugulés par la Formule, litanie que l’on prononce au sol, les bras en croix et face contre terre. Dans un tel contexte, inutile de préciser que la sexualité a été abolie.

Chacun est équipé d’un Disque Cérébral (DC) très pratique : il permet de se connecter à l’esprit de ses congénères (ceux que l’on ne doit jamais, au grand jamais, toucher physiquement, donc) et de communiquer avec eux, directement dans leur tête. 029-Marie Kraft a montré de tels dons pour l’utilisation de son DC qu’elle est devenue professeure en Littérature classique. De sa cellule personnelle, mise à disposition par l’université, elle partage un savoir qui n’est pas le sien sur le Roman de Renart, Maupassant ou encore Beckett. Pour ce faire, elle scinde sa pensée en autant de contacts télépathiques qu’elle a d’étudiants. Elle doit aussi gérer les intrusions tentées par d’éventuels retardataires ou autres mauvais plaisants.

Ce prenant travail a le mérite de lui faire oublier l’atmosphère étouffante qui règne chez elle. Car 029-Marie ne supporte plus très bien la présence de son fils 454-Jean dont les yeux ne lui rappellent que trop ceux de son défunt mari, 328-Pierre. Un homme un peu trop câlin qu’elle préférerait oublier. Jusqu’au jour où un producteur d’émissions pirates la convainc d’infiltrer une expédition spatiale clandestine consacrée au tourisme sexuel.

Si l’histoire en elle-même reste d’une facture classique pour une dystopie, le roman de Franck Manuel fourmille d’idées et de tentatives plus ou moins réussies. L’auteur construit son roman de manière très oulipienne mais n’arrive pas à éviter certaines des lourdeurs qui menacent systématiquement l’exercice. La « virée des bordels » qu’il couche sur le papier surpasse les rêves moites les plus fous qui pourraient hanter les nuits d’un(e) fan de Star Trek ou de Cosmos 1999 sous acide. Aucun gros plan ne sera épargné au lecteur de ce Space Porn dont on cernera vite la faiblesse : un manque de positionnement troublant de l’auteur qui aurait pu exprimer sa vision de la chose au travers des personnages ou encore d’un humour malheureusement absent de son ouvrage.

Ce creux rend 029-Marie terne et vain : dispensable, donc. Mais comme Franck Manuel et un auteur qui fourmille intensément, on sera bien avisé de surveiller sa carrière de près.

Grégory DRAKE

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