Kim Stanley ROBINSON
ACTES SUD
672pp - 23,80 €
Critique parue en janvier 2018 dans Bifrost n° 89
Dans trois cents ans, l’humanité aura domestiqué le système solaire. Certaines planètes (Mars) seront terraformées, d’autres (Mercure) seront habitées de façon atypique : une ville mobile glissant sur des rails pour échapper à la fournaise du soleil. Pour se déplacer entre ces mondes ? Rien de plus simple : des astéroïdes forés, transformés en terrariums, vous permettent de vous occuper pendant le voyage – paysage arctique, savane, mais aussi vaste lupanar offrant des expériences sexuelles débridées. Vous trouverez votre bonheur dans la diversité de ces vaisseaux de pierre. Quant à l’apparence physique, faites votre choix. Vous êtes un homme, mais ce sexe ne vous convient pas tout à fait ? Aucun problème ! Devenez une femme, ou faites-vous greffer des organes des deux sexes. Votre corps est un champ d’expérimentation à part entière, dont vous pourrez qui plus est profiter longtemps : l’espérance de vie se compte en siècles.
Un tableau en apparence idyllique. Mais à l’équilibre soudain remis en question : un meurtre a été commis. Alex n’est pas réellement morte d’une maladie, comme on le prétendait. Et les conséquences de cette découverte prennent des proportions gigantesques, incalculables. Est-ce un complot à une échelle insoupçonnée ? Swan veut comprendre pourquoi sa parente a disparu ainsi… et se lance donc à la poursuite d’indices à travers le système solaire, sautant de monde en monde.
Kim Stanley Robinson est connu pour la qualité de ses recherches, pour la précision des mondes imaginés, pour la pertinence de ses réflexions sur notre avenir : bouleversements climatiques dus à l’homme, envol pour l’espace. Le « Cycle de Mars » a marqué, par sa richesse et sa puissance évocatrice, nombre de lecteurs. C’est dire l’attente créée par 2312, présenté comme son grand œuvre, et qui paraît chez nous six ans après son dernier bouquin, Le Rêve de Galilée. C’est dire la déception devant ce pavé indigeste. Mais que lui a-t-il donc pris ? Si l’univers décrit est enivrant, si certains passages nous projettent avec force sur Mercure ou sur une Terre en perdition, le roman en lui-même est une torture, tant le rythme est bancal, voire inexistant. Une série de scènes, même enchanteresses, ne fait pas un livre. Il faut un souffle, ou, au minimum, une histoire. Et Kim Stanley Robinson semble se moquer totalement de son propre récit. Il met toute sa force dans le portrait de son monde, mais oublie la narration. Et avec elle ses personnages : Swan, malgré son exubérance, laisse totalement froid. Tout comme le Titanien Wahram ou l’inspectrice Jean Genette. Et les pauses insérées entre les chapitres, telles les listes à la Dos Passos, ne font que rajouter à cette impression de grand fourre-tout.
Le résultat est une sensation d’immense gâchis. On aurait tant aimé pouvoir se laisser embarquer dans cette évocation d’un avenir si pensée, si maitrisée. On peut toujours piocher quelques passages magiques, trouver quelques sujets de réflexion sur la direction prise par nos gouvernants et nous-mêmes. Mais se lancer dans la lecture in extenso de 2312, franchement, non.