En 2012, Kim Stanley Robinson se livre à exercice de prospective : imaginer un futur distant de 300 ans. Le résultat est aussi brillant qu’exaspérant.
À la fin de Mars la bleue, KSR imaginait le concept d’accelerando, période voyant la colonisation du Système solaire, de Mercure jusqu’à Neptune. Lorsque débute 2312 (qui n’a rien d’une suite), cette période appartient déjà au passé ; s’il fallait trouver un nom à cette nouvelle ère, c’est celle de la balkanisation. Imaginez : Mercure et sa cité mobile, Vénus en cours de terraformation à grands coups de comètes, Mars terraformée grâce à l’azote provenant de Titan, des ligues du côté de Jupiter et Saturne, et surtout d’innombrables astéroïdes évidés pour constituer des habitats spatiaux et abriter ainsi la faune et la flore menacées de la Terre. Un ensemble de traités – l’accord Mondragon, nommé d’après cette commune du Pays basque espagnol où une coopérative ouvrière a vu le jour – a permis l’émergence d’un système économique post-capitaliste. Une utopie ? Pas loin. Seule la Terre, polluée, ses continents grignotés par la montée des eaux due au réchauffement climatique, reste le parent pauvre. La planète des origines est-elle condamnée ?
Tout roman nécessite un événement déclencheur, et celui de 2312 est la mort d’Alex, la « Lionne de Mercure ». Décès naturel ou mort suspecte ? Sa petite-fille, Swan Er Hong, artiste et ancienne conceptrice d’habitats spatiaux, va se retrouver à son corps défendant plongée dans une intrigue voyant l’apparition d’une menace inédite. Cette enquête la mènera aux quatre coins du Système solaire… et fera de 2312 une année charnière pour cet avenir.
Brillant, le roman l’est dans ses idées. KSR déploie ici un Système solaire crédible. Abondance, liberté, fluidité des genres comme des déplacements à travers l’espace interplanétaire, un véritable élan utopique parcourt les pages. Comme John Brunner avec Tous à Zanzibar, l’auteur s’appuie sur une structure tirée de la fameuse trilogie « USA » de John Dos Passos : les chapitres faisant avancer l’intrigue alternent avec des listes, des extraits de textes fictifs, des focus sur tel ou tel corps céleste ou des « promenades quantiques » plus expérimentales. Exaspérant, 2312 l’est sous l’aspect romanesque : le roman traîne en longueur, l’enquête sur la mort d’Alex tenant surtout du prétexte pour une balade à travers le Système solaire. En dépit, ou plutôt grâce à ce défaut, 2312 se prête curieusement bien à la relecture : une fois que l’on sait que le voyage va être lent, on peut prendre son temps pour admirer les détails du paysage. Et quel paysage.