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Les critiques de Bifrost

37° centigrades

37° centigrades

Lino ALDANI
LE PASSAGER CLANDESTIN
96pp - 6,00 €

Bifrost n° 72

Critique parue en octobre 2013 dans Bifrost n° 72

[Critique commune à 37° centigrades et Où cours-tu, mon adversaire ?]

Depuis quelques mois déjà (cf. critiques dans notre numéro 70), les éditions du Passager clandestin proposent « Dyschroniques », une collection de rééditions de nouvelles et novellas SF présentant des visions du futur plutôt dystopiques. Les premiers titres étaient signés Philippe Curval (Le Testament d’un enfant mort), Murray Leinster (Un Logique nommé Joe), Mack Reynolds (Le Mercenaire) et Brian Aldiss (La Tour des damnés). On le voit, la volonté de l’éditeur, Philippe Lécuyer, n’est pas nécessairement de ne nous présenter que des grands maîtres du genre, mais plutôt de proposer des textes visionnaires signés d’auteurs s’interrogeant sur leur époque et l’état du monde. La présentation, de petits livres à couverture grisée arborant une illustration minimaliste, est soignée, la maquette agréable même si, ici et là, traînent quelques coquilles visiblement liées à un OCR mal corrigé. Pour cette seconde livraison, c’est l’Italien Lino Aldani et l’Américain Ben Bova qui sont à l’honneur, avec des récits bien différents.

37° centigrades, d’Aldani, nous présente un futur digne d’Orwell dans lequel les habitants de Rome sont soumis à un contrôle strict. Là où la situation est ironique, c’est que ce contrôle est fait pour leur propre bien : il est en effet réalisé au titre de la C.G.M., la Convention Générale Médicale. Afin de réduire les frais médicaux occasionnés par les trop nombreuses maladies, le gouvernement a ainsi décidé de couper le mal à la racine et d’éradiquer tout risque potentiel de contracter une maladie. Ainsi, pour les messieurs, le port d’un gilet de corps et d’un gros tricot de laine est obligatoire ; tout manquement est passible d’une amende. Nicola Berti vit de plus en plus mal ce flicage systématique, jusqu’au jour où il décide de sortir du système et de ne plus adhérer à la C.G.M., un choix qu’il fait en toute connaissance de cause et à ses risques et périls (c’est le cas de le dire)… Le cynisme règne en roi dans la société italienne décrite par Aldani, car en effet, l’adhésion à la C.G.M. est payante (et fortement recommandée) ; du coup, les habitants sont contrôlés en permanence… et doivent de plus payer pour ce faire ! On le voit, c’est à une bien belle dystopie que nous convie l’auteur, et comme dans toute dystopie qui se respecte, Aldani va nous décrire la tentative d’un homme pour échapper au joug du gouvernement. Essai bien modeste, en somme, puisqu’il s’agit d’une entreprise individuelle de fait vouée à un échec prévisible… Une nouvelle qui, bien que datant de cinquante ans tout juste, reste ô combien d’actualité, notamment du fait de la privatisation progressive des systèmes d’assurance-maladie…

Changement radical de décor avec cours-tu mon adversaire ?, la novella de Ben Bova. Dans le futur, suite à la découverte de tours sur Titan fonctionnant en dehors de toute présence humaine ou extraterrestre, la Terre lance un vaste programme d’exploration spatiale pour tenter de retrouver les concepteurs de ces machines. L’équipage du Carl Sagan se dirige vers une étoile de Sirius, où il découvre… des extraterrestres qui ressemblent fortement à des humains. L’un des scientifiques de l’expédition, Lee, est persuadé qu’il s’agit des mêmes êtres à l’origine des tours de Titan, et que celles-ci sont des armes de guerre ; l’avenir lui dira qu’il a à la fois raison et tort… Sur une trame de texte ultra-classique (la découverte d’une planète habitée par des humanoïdes), Bova livre un récit qui peine à convaincre. La faute, entre autre, à son personnage principal, Lee, un dépressif notoire ayant fait une crise aigüe et dont on a du mal à croire qu’il fasse partie d’une telle opération, d’autant plus que sa théorie sur les machines de Titan comme armes de guerre semble sortie de nulle part. Difficile de s’identifier à ce protagoniste, et c’est bien dommage, car en tant qu’anthropologue, il va s’intégrer dans la communauté de la planète, en adoptant ses us et coutumes. La nouvelle souffre aussi de quelques développements difficilement acceptables, à commencer par la liberté prise par certains membres de l’équipage avec la science, ou la scène d’identification des Autres, basée sur une comparaison visuelle d’êtres que plusieurs millénaires d’évolution séparent… Bref, un texte qui ne laisse aucune impression durable, et dont la réédition apparaît dispensable. On est bien loin d’Ursula Le Guin…

Avec ces novellas — celle de Bova pourrait même prétendre au statut de court roman —, la collection « Dyschroniques » s’enrichit de deux textes fort différents, tant dans la forme que dans le fond, bien que partageant un même constat de noirceur sur l’espèce humaine. Dans les prochains mois, une réédition signée Marion Zimmer Bradley, La Vague montante, devrait voir le jour, sa publication ayant fait l’objet d’une souscription sur un site de crowdfunding.

Bruno PARA

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