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Le Son du cor

Mnémos réédite un étrange roman de 1952, dû à un auteur britannique rare au pseudonyme de Sarban. Le Son du cor a son titre de gloire : il est probablement la première uchronie usant du thème ensuite rebattu de la victoire des nazis durant la Seconde Guerre mondiale – dix ans avant Le Maître du Haut-Château.

Mais catégoriser ainsi le roman n’est peut-être pas si évident : on a pu contester son caractère d’uchronie, ou de roman de science-fiction – on soulignera aussi une certaine ambiguïté sur le mode onirique (peut-être tout ceci n’est-il qu’un cauchemar), sans oublier de constater que l’horreur prime sans doute sur tout le reste, une horreur empruntant son thème au film de 1932 Les Chasses du comte Zaroff ; autant parler, quitte à risquer l’anachronisme, de survival.

Le roman s’ouvre sur un aimable débat dans un salon so British, peu après la victoire des Alliés ; les convives discutent de la chasse à courre, pro et contra… mais Alan Querdillon ne goûte pas la plaisanterie – il associe ce loisir à la terreur, à l’indicible…

Il en confesse la raison : prisonnier de guerre en Allemagne, il a fait une tentative d’évasion en 1943 qui a mal tourné. Il s’est évanoui… et s’est réveillé dans une chambre d’hôpital, dont le personnel allemand se montrait plutôt bienveillant – inattendu, pour un évadé… Mais les bizarreries s’accumulent, et Querdillon comprend enfin, sans savoir comment ni pourquoi, qu’il se trouve en l’an 102 du Reich de Mille Ans ! Car les Nazis ont gagné la guerre il y a longtemps…

Ils ont édifié un monde hideux et régressif – l’oppression y est toujours de mise, et le comte Hans von Hackelnberg, Grand Veneur du Reich, la personnifie… lui dont le loisir est de chasser des êtres humains ! Et bientôt Querdillon.

C’est le cœur du roman : une longue et éprouvante séquence de chasse… qui a aussi sa part de fantasme sordide, à l’évidence. Le roman a quelque chose de sadien, et les nazis de ce Silling forestier peuvent anticiper les fascistes du Salò de Pasolini… Ce qui a amené quelques commentateurs à se pincer le nez : roman « répugnant », « ambigu », « suspect »… Autant de jugements moraux qui tiennent du préjugé regrettable. Le roman n’a en fait rien de suspect ou d’ambigu – et, pour en finir avec Sade, il est assurément inoffensif au regard des écrits les plus outranciers du Divin Marquis. C’est finalement une œuvre assez morale – et peut-être même au sens conventionnel… Sans l’hypocrisie des films de « nazisploitation » qui connaîtraient bientôt un improbable succès d’exploitation. Mais il joue bien d’une certaine forme d’excitation perverse – plutôt avec réussite, d’ailleurs : c’est un beau cauchemar, aux scènes puissantes, et tant mieux s’il est dérangeant…

Il n’est cependant pas sans défauts, et, s’il constitue un document intéressant, est-ce pour autant un bon roman ? Forces et faiblesses font la balance – mais relevons un rythme guère assuré, un didactisme parfois malvenu, un jeu d’équilibriste qui n’échappe pas toujours au ridicule, et une plume insipide (peut-être pas aidée par la traduction).

Roman intéressant conspué pour de mauvaises raisons ? Oui, probablement. Bon roman ? C’est plus douteux – au pur plan romanesque, Le Son du cor, inégal, est sans doute un peu médiocre — constat d’autant plus regrettable que ce qui fonctionne, dans ce roman étrange, fonctionne très bien…

Et si le diable le permet

1930. Sachem Blight, baroudeur canadien anglophone, doit enquêter dans le plus exotique des cadres, Montréal, pour retrouver le fils d’un architecte qui s’est fait la malle. Il aurait bien besoin de l’assistance d’un autochtone maîtrisant le français local, et même le joual, sociolecte propre à la métropole québecoise. Et ça tombe bien : sa demi-sœur Oxiline, qu’il n’a jamais vue, y végète dans une institution religieuse, et il est bien temps pour l’adolescente de découvrir le vaste monde ! Sauf qu’il y a quelque chose qui sent mauvais dans cette affaire…

Troisième roman de Cédric Ferrand, Et si le diable le permet témoigne à nouveau de la double casquette de l’auteur, à la fois écrivain, créateur et scénariste de jeux de rôles. Mais cette fois il se frotte à un jeu qui lui est extérieur : L’Appel de Cthulhu. Lequel est bien sûr censé émuler les récits d’horreur cosmique de Lovecraft et de ceux qui l’ont suivi, mais a fini par constituer une mythologie et des codes qui lui sont propres.

Et si le diable le permet est-il donc le « pulp lovecraftien » présenté par l’auteur ? Probablement pas – ni dans la conception orthodoxe à poil dur, ni dans son antithèse à base de zeppelins nazis et de dynamite : dans ces deux registres, c’est la lovecrafterie rôlistique qui est travaillée au corps.

D’où un jeu réjouissant et qui sent le vécu avec plusieurs dimensions attachées à la pratique de L’Appel de Cthulhu – incluant des investigateurs qui ne comprennent absolument rien à l’intrigue à laquelle ils sont mêlés (mais qui sont d’autant plus attachants qu’ils sont losers et gaffeurs !), quantité de rencontres « optionnelles » guère utiles à l’avancement de l’enquête, et un usage extensif du « Baedeker », cet ancêtre du Guide du routard qui constitue la source de bien des cadres de jeu « réalistes » de L’Appel de Cthulhu.

Or cela a son impact sur la narration, et surtout le rythme du roman – qui se veut distrayant, et l’est, mais progresse lentement, en étant semé d’anecdotes sur Montréal et sa région, des plus terribles (comme l’explosion de Halifax) aux plus triviales, incluant légendes indiennes locales et notations gastronomiques, ou des figures historiques telles que le nasillons Adrien Arcand. D’aucuns pourront trouver ce rythme déconcertant et dénoncer la « gratuité » de tout cela – mais c’est un outil d’ambiance de choix, et que l’auteur manie bien.

Dans un registre assez proche, il faut mentionner les divers jeux linguistiques, du français « littéral » de Sachem Blight au joual si fleuri, toujours compréhensible de par la magie du contexte, et qui nous vaut quelques joutes oratoire épiques et hilarantes – mais jamais acides, encore moins méprisantes, car il y a toujours l’idée d’une langue à part entière, avec un contexte culturel pris au sérieux.

Plus ennuyeux, le souci de rythme affecte surtout la fin du roman, hâtivement expédiée, voire bâclée – c’est fâcheux, car didactique et brutal, frustrant dès lors, et légitimer le procédé par une nouvelle référence rôlistique serait pousser le bouchon un peu trop loin…

Ce souci pris en compte, Et si le diable le permet demeure un roman qui remplit son office — distrayant, enjoué, instructif et drôle, bien plus futé qu’il n’en a l’air. Il est par contre à craindre que seul un lectorat relativement limité puisse en apprécier tout le sel.

Et la suite ? Est-ce du lard ou du cochon, on nous annonce une nouvelle enquête de Sachem Blight et Oxiline, intitulée Le Tour du monde en un jour. Si jamais, on ne s’en plaindrait certes pas !

Os de lune

Tout commence par une chronique de vie, douce et banale. Celle de Cullen, jeune New-Yorkaise, dont nous suivons le flux des souvenirs. À l’instar de ceux qui concernent son voisin qui a tué sa famille à la hache, ou encore ceux de ses tristes histoires d’amour, de son avortement et de ses souffrances. Jusqu’à sa rencontre avec Danny, joueur professionnel de basketball. Les deux êtres se rapprochent, se complètent, découvrent l’Europe ensemble et fondent une famille. Ce n’est pas la fin de l’histoire, loin de là. Cullen commence à faire des rêves de plus en plus intenses, des fantasmagories peuplées de créatures fantastiques qui l’entraînent dans le monde de Rondua.

Là, avec son fils Pepsi, ce fils qu’elle n’a jamais eu, elle part en quête des Os de lune à même de sauver le royaume de Rondua. À la tête d’un groupe iconoclaste – oui, le dromadaire et le chien parlent –, ses aventures prennent parfois un tour inquiétant et menaçant. Jusqu’à ce que la frontière entre le rêve et l’illusion, entre le réel et le tangible se fasse dangereusement ténue…

Pour court qu’il soit, ce roman donne pourtant l’impression de prendre son temps, avec une économie de moyen qui explose littéralement dans les dernières pages, absolument magistrales. Jonathan Carroll pose d’abord un cadre réaliste, subtilement mené, où ses personnages prennent une belle épaisseur. À peine le lecteur s’est-il habitué que les premiers glissements s’opèrent : on entre dans un monde onirique de plus en plus déstabilisant. Le plaisir est bien évidemment dans les jeux de miroirs déformants qui lient le rêve à la réalité, le tout fonctionnant grâce au magnifique portrait de femme qui nous est ici offert.

On y ajoute une préface de Neil Gaiman délicate à souhait, et nous voilà avec un incontournable absolu. Quoi d’autre pour convaincre l’indécis ? Cette réédition – datant de 1987, le roman a été publié en France en 1990 — dans une traduction révisée est un des plus beaux cadeaux que vous puissiez faire à votre bibliothèque, un pur chef-d’œuvre signé par un des auteurs les plus sous-considérés du domaine ; une tentative de réhabilitation à ne pas rater.

Point du jour

Aube ou crépuscule ? C’est la question qu’on peut légitimement se poser en découvrant pour la première fois ce recueil de nouvelles, de Léo Henry à la plume et de Stéphane Perger au crayon. Certaines ont déjà été publiées, d’autre non. Peu importe, le livre attire et séduit l’œil et la main par son élégance – comme souvent chez cet éditeur. En apparence fin, l’objet aimerait se faire passer pour court, rapide à lire. Raté.

Car si la plume virtuose captive immédiatement le lecteur, elle s’envole très vite, hors de portée, très haut, libre, brillante et vive, et le laisse prisonnier dans une cage de mots et de lignes taillés avec soin pour frapper, pile, là où ça fera mal, là où ça fera bien. Le sens, lui, doit s’apprivoiser. Sauvage, d’abord, féroce même, il mord, se camoufle ou bondit en rugissant pour mieux jouer avec sa proie, pauvre lecteur, égaré ou retrouvé, selon l’humeur, la chanson choisie, le rayon de soleil, le nuage d’obscurité, la chronologie de la narration ou la chronologie de la collation… « Dessiner Point du jour c’est choisir un détail et s’imposer une discipline. » Le lire une première fois, se prendre une claque, détester. Retenir les mots, marqués au fer rouge dans l’esprit, leur souvenir qui tourne comme un rat affamé. Y revenir une deuxième fois, se surprendre à aimer, puis à haïr l’incontrôlable lecture, les dessins si cruels et si doux, cet univers d’une dureté apocalyptique, ces troupeaux d’humains – lombrics, rats, baleines – putréfiés dans leur monde, si lointain et pourtant si proche… En redemander, shooté au style, et à cette volonté de faire sens à tout prix. Se prendre une deuxième claque, et rester, desséché, les ailes brûlées, sur le sable cramé, mais dans le brouillard, à digérer des impressions de lecture qui vous dépassent.

L’histoire ? Il y en a plusieurs, il n’y en a qu’une, impossibles à cadrer, impressions soleil fuyant, mais auxquelles on ne peut se permettre de ne pas croire. On s’attache à des personnages, à des lieux, on les oublie pour mieux les retrouver, plus tard ou plut tôt, tout dépend de la façon de se perdre dans la symphonie.

« Point du jour est vide de bonté. Cherchez-la ! Arpentez monts et vaux ! Avancez, intranquilles ! Vous êtes des milliers, hors des tribus, à espérer qu’un jour surgira une lumière. À rêver à un monde qui ressemble à un rêve. Point du jour est chiche en grâce, aride et capricieux. L’effort infini seul y accouche parfois de trésors ambigus. »

Abstractions, formes, le lecteur s’accroche à tout ce qui lui tombe sous les yeux, au-dessus du gouffre séduisant, et halète. Ferme les pages. Pose ce livre, là, pas loin, en ayant l’impression, de ne pas avoir tout lu, tout vu, tout entendu. Et cette tentation dévorante de refaire encore, à la sortie de la nuit, un tour à Point du jour.

LÎle de Peter

Nombreux s’y sont frottés, nombreux s’y sont piqués, nombreux ont piqué… Du Peter Pan de Loisel au Hook de Spielberg, du Tiger Lily de J. L. Anderson au film de P. J. Hogan, beaucoup ont espéré pouvoir naviguer, grand-voile déployée, sur le mythe créé par J. M. Barrie. Peu y sont vraiment parvenus, épuisant les réserves de poussière de fée, et s’écrasant lourdement plutôt que s’élevant avec élégance. Le roman de Nikolavitch, lui, hésite. Prenant un envol plutôt réussi et intriguant dans l’obscurité d’une poursuite policière à New York, il semble chercher ensuite la bonne étoile pour tenir jusqu’au matin. Dommage.

L’idée de départ aurait pu être fantastiquement et psychédéliquement fructueuse. Wednesday, policière têtue, compte bien faire tomber King Joab, un caïd de la drogue qu’elle traque de manière opiniâtre. Depuis quelques temps, sa cible a déclaré une obsession : Joab surveille les moindres faits et gestes d’un vieux marin en quête d’herbes bien spécifiques. Jusqu’au jour où il essaie de le capturer, en vain. Alors que la policière et le caïd poursuivent ce marginal, ils inhalent la fumée dégagée par l’étrange mixture de… Mouche. Car oui, le loup de mer, c’est bien lui. Et tous se retrouvent projetés sur une île tropicale que Joab semble mystérieusement connaître mieux que sa poche, une île peuplée de personnages aux noms qui résonnent depuis des décennies dans la conscience collective, une île familière que Wednesday a toujours cru imaginaire. Et dont le sable (même s’il vient des plages de la lagune aux sirènes) immobilise un récit qui s’enlise, peu à peu, sans vraiment s’échouer, grâce à quelques ponctuelles bonnes trouvailles. Dans cette réécriture plutôt banale, seul Mouche surprend un peu, lui qui manipule toutes les cartes et réussit à sortir les siennes du jeu, marin marionnettiste fatigué qui tire les ficelles de sa vieille histoire et de celle de l’île de Peter… et qui réussit presque à émouvoir et amuser.

Les voyageurs habitués et amateurs des méandres et aventures qui poussent à foison à Neverland y prendront peut-être un certain plaisir. Pour les autres, allez plutôt dévorer l’excellent Les Saisons de Peter Pan de Christophe Mauri, illustré par Gwendal Le Bec, chez Gallimard Jeunesse. Par son style impertinent, léger et profond, drôle et sensible, triste et joyeux, ce roman de littérature jeunesse se pose en héritier beaucoup plus légitime des premières aventures des Enfants perdus et de leur célèbre chef impertinent, innocent et sans cœur, et nous rappelle avec intelligence que si tous les enfants, excepté un, grandissent, les adultes, eux, se souviennent.

Ursula K. Le Guin est décédée

C'est avec tristesse que nous avons appris le décès, à l'âge de 88 ans, d'Ursula K. Le Guin, grande dame des littératures de l'imaginaire.
En 2015, Bifrost lui avait rendu hommage dans son numéro 78, au travers d'un dossier abordant avec passion son apport puissant et humaniste à la SF et la fantasy — les cycles de Terremer et de l'Ekumen ainsi que ses romans pour la jeunesse et ses essais analysant avec brio les genres.
Sans elle, nous ne serions pas les lecteurs que nous sommes.

Le Bifrost 89 chez Albédo

« Ce numéro de Bifrost consacré à Nancy Kress permet de se familiariser avec une personnalité charmante, attachée à l’avenir de l’homme mais avec les pieds ancrés dans notre temps. Le dossier, notamment l’entretien, nous offre une esquisse d’une femme impliquée et passionnée. Ce panorama me donne envie de découvrir son œuvre en rapport avec le génie génétique, un des axes de ses réflexions privilégiés ces derniers temps. » Albédo - univers imaginaires

Catalogue 2017-2018

En attendant sa version papier, le catalogue 2017-2018 des éditions du Bélial' est d'ores et déjà disponible en Pdf en suivant ce lien !

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