Joëlle Wintrebert aborde à nouveau les difficiles relations entre les sexes, à la recherche de l'équilibre.
Sur la planète Pollen, les femmes, dégoûtées de la violence des hommes, ont remplacé la cellule familiale par une triade composée de deux femmes et d'un homme. La violence masculine est ainsi largement tempérée par les éléments féminins. En revanche, sur le Bouclier — satellite qui assure la défense des colons débarqués sur Pollen — , les proportions hommes-femmes sont inversées et la violence, non seulement domine, mais est entretenue à des fins martiales. Pour éviter que ce noyau de barbarie ne se retourne contre ses supérieures, les guerriers peuvent, une fois l'an, au Bal du Don, enlever le quota de filles que les généticiennes de Pollen rendent à ce moment fertiles.
Sur Pollen, Sandre, pour des raisons politiques et passionnelles, se rend coupable d'un meurtre. Sa mémoire effacée, il est envoyé sur le Bouclier. Mais l'une de ses sœurs, Salem, tient tant à lui qu'elle se débrouille pour devenir l'épouse d'un guerrier et le suivre dans son exil tandis que son autre sœur, Sahrâ, âme en peine qui passe dans de nombreux bras, finit par étudier l'histoire et se lance dans la politique.
Dès le départ, Joëlle Wintrebert met donc à mal cette utopie en y décrivant un meurtre. Le procès et les événements qui en découlent sont l'occasion de découvrir les rouages de cette société qui, sous couvert de paix et d'harmonie, dissimule une violence doublée d'un profond cynisme. La matriarchie de Pollen pratique une discrimination sexuelle encore plus révoltante dans la mesure où elle est fondée sur une énorme duperie.
L'écriture ciselée de l'auteur sert à merveille le propos, en féminisant les pluriels incluant les genres masculins et féminins ; comme pour mieux dénoncer l'insidieuse stigmatisation des sexes dans des rôles, fonctions et schémas préétablis, le vocabulaire subit parfois de subtiles variations de genre secouant les habitudes du lecteur. L'histoire se déroule avec fluidité, dévoilant méthodiquement les facettes de cet univers sexiste. Joëlle Wintrebert en a volontairement gommé les aspects technologiques, ce qui lui donne une apparence bucolique des plus trompeuses. Le contexte sociologique et politique est en revanche décrit avec minutie, à travers les pérégrinations de personnages décidément très attachants ou fort bien campés. Bien que psychologiquement différents, Salem, Sandre et Sahrâ manifestent des qualités humaines démontrant à elles seules l'inanité d'une thèse sexiste de la violence. Au total, Joëlle Wintrebert signe son retour sur les devants de la scène éditoriale avec un livre intelligent joliment troussé. Voilà qui n'a rien d'une surprise, mais c'est toujours un grand plaisir.