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Les critiques de Bifrost

Aatea

Anouck FAURE
ARGYLL
432pp - 24,90 €

Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118

Se représenter un monde essentiellement composé d’eau est une chose assez aisée, beaucoup d’œuvres de science-fiction prennent pour cadre des planètes océanes. Avec ce second roman, Anouck Faure, dont nous avons pu apprécier la très gothique Cité diaphane (critique in Bifrost n° 110), laisse derrière elle la fantasy pour un récit prenant les codes de la SF, qu’elle marie, non sans brio, à l’imaginaire polynésien. Avec pour constante les illustrations intérieures de l’autrice elle-même (qu’on connaît avant tout en tant que dessinatrice), afin d’accentuer l’immersion des lecteurs et nous offrir un éclat de sa vision.

Ici, Anouck Faure plante un décor où les courants océaniques sont superposés et en suspension. Les rares terres fermes sont des îles, rassemblées en archipels et naissant après gestation dans les profondeurs. Les humains, répartis en nations insulaires, sont guidés par des navigateurs aguerris capables de mener leur embarcation d’île en île. Pour ce faire, ils doivent recourir à une capacité hors norme, celle d’« oncevoir », sorte de sixième sens rendu possible par un filament permettant de ressentir les ondes transmises par les eaux. Ainsi est-il possible de localiser des poissons et des îles. Mais c’est surtout pour prévoir et esquiver les nuées — ces cataclysmes prenant la forme de bancs de crustacés qui dévorent tout sur leur passage — que l’oncevoir s’avère essentiel. Dans ce monde, la société est fortement hiérarchisée : des castes supérieures, où la noblesse a tous les droits, jusqu’aux parias, ceux qui ont eu la malchance de naître en mer et qui, de fait, ne peuvent plus poser le pied sur une île sous peine de mort. Les individus capables d’oncevoir sont destinés à être exclusivement des navigateurs, caste dont les mâles sont châtrés à la puberté — une sombre tradition destinée à garder ce don sous contrôle de l’aristocratie.

Nous suivons ici un de ces parias, Aatea. Fils d’une reine-navigatrice, dont il a hérité le don d’oncevoir, il est né en mer et n’aura donc jamais le droit de fouler la terre ferme. Mutilé pour le bénéfice de sa communauté, il souffre de l’interdit de vivre avec ses pairs, et devient bientôt le jouet de manœuvres politiciennes destinées à déstabiliser sa mère. A-t-il besoin d’autres raisons pour saisir la première occasion de s’enfuir, en quête d’une nouvelle terre où s’établir et d’enfin goûter à la liberté ?

Avec Aatea, Anouck Faure promet à ses lecteurs le dépaysement. Une promesse tenue, au prix d’un rythme lent où la tension s’échelonne au fil des tempêtes et des plongées. On ne cherchera pas non plus ici un traitement radicalement original des personnages qui traversent le récit, ni même l’immersion dans une société résolument autre. L’intérêt véritable réside dans la plume évocatrice, précise, d’une artiste aguerrie qui parvient à faire vivre un monde à l’étonnante topologie. Un roman onirique plus qu’une aventure initiatique.

 

 

 

Pierre-Marie SONCARRIEU

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