Pour un avis littéraire pur sur Accelerando – même s’il n’est pas entièrement partagé par l’autrice de ces lignes, grande admiratrice de Charles Stross en général et de ses histoires les plus «?geeks?» en particulier –, on se reportera à la critique de Bertrand Bonnet parue dans notre 79e livraison. Plongeons-nous dans un avis plus orienté sur la véritable star de ce roman fix-up. Et non, il ne s’agit pas d’Aineko, le robot jouet devenu plus que chat entre le début et la fin de l’histoire, mais bien de la sentience, la fusion entre humanité et intelligence artificielle, la Singularité. Rappelons que ce livre est sorti en VO en 2005, soit dix ans avant sa prime parution en France. En temps informatique, cela représente à peu près l’équivalent entre la chute de l’Empire romain d’Occident et la Révolution française. 2005, c’est la fin de l’effondrement de la première bulle Internet et de la première vague de start-ups ; c’est aussi à cette époque que Ray Kurzweil popularise l’idée de la singularité – l’hypothèse selon laquelle l’invention de l’IA déclencherait un emballement de la croissance technologique qui induirait des changements imprévisibles dans la société humaine, le moment où, quand les machines et l’informatique atteindraient la sentience, l’humanité telle qu’on la connaît disparaîtrait. Soit pile la thématique d’Accelerando, par le biais de neuf histoires liées les unes aux autres et se suivant chronologiquement, mais espacées de plusieurs années et de plusieurs parsecs. Accelerando raconte l’histoire d’une famille : Manfred Macx, génie qui bouillonne d’idées et les brevète à tour de bras ; sa fille Amber et son petit-fils Sirhan. L’histoire commence par Manfred aidant des langoustes numérisées à s’évader d’un serveur Windows soviétique pour échapper aux humains et voguer dans les océans de l’espace. Peu à peu, les humains vont mêler leurs consciences au Web, s’ajouter des extensions neuronales, déporter leurs mémoires et certains processus intellectuels dans le réseau mondial… Peu à peu, ils y perdront leurs humanités, le système sera cannibalisé de partout pour en faire des unités de calculs informatiques et héberger les versions virtualisées des humains, mais aussi des personnes morales comme les grandes corporations, la CIA – devenue agence de presse – ou les organisations non gouvernementales. Et pour épicer le tout, Charles Stross raconte une histoire de premier contact avec d’autres espèces sentientes, elles aussi passées par la Singularité, le manque de bande passante expliquant les contacts rarissimes d’une espèce à l’autre. Riche en rebondissements, en personnages – humains ou non – hauts en couleur, et en concepts, Accelerando est un livre dense, ardu, pour qui n’est pas familiarisé avec l’un ou l’autre des centres d’intérêt des personnages (à tel point que le traducteur a cru bon de rajouter un lexique – incomplet – en fin de volume). C’est surtout un avertissement sur les risques à se laisser déborder par la technologie, par l’engouement capitalistique et/ou quasi religieux que certains en font, et les conséquences terriblement grotesques que tout cela pourrait entraîner pour l’Humanité et notre planète en général. Sauf que… près de vingt ans après, il reste cette impression que certains ont considéré ce livre comme un idéal à atteindre pour améliorer la fraction d’humanité la plus riche et la doter d’une certaine forme d’immortalité. Si Bob Franklin, Manfred Macx, sa famille et les autres protagonistes sont plutôt sympathiques, leurs agissements et leurs conséquences ont un impact salement négatif sur la planète. Comme peuvent l’avoir celles de mégalomanes richissimes à la Elon Musk, Peter Thiel, Richard Branson et autres «?techno-bros?» et «?crypto-bros?» de l’IT. À tel point que le 10 novembre dernier, Charles Stross a officiellement présenté ses excuses pour leur avoir donné des idées (1)..