David ANGEVIN
NAÏVE
333pp - 20,00 €
Critique parue en octobre 2013 dans Bifrost n° 72
En ces temps de vaches maigres, du moins dans l’Hexagone, l’amateur de science-fiction se voit de plus en plus contraint de chercher sa came ailleurs, braconnant du côté du polar ou de la littérature blanche. Parfois, il tombe sur un bouquin boulever-sant, en témoigne Des larmes sous la pluie de Rosa Montero. Mais plus souvent, il doit se con-tenter d’ersatz. D’aucuns voient dans cette évolution un signe des temps. La science-fiction ayant été rattrapée par le présent et, de ce fait, constituant une part importante de notre quotidien, elle aurait abandonné le registre de la spéculation pour se diluer dans les champs du sociétal et de la métaphysique. Sans entrer sur le terrain (miné) des hypothèses et des controverses picrocholines, le chroniqueur se per-mettra néanmoins une piteuse remarque. Si la science-fiction cherche à divertir et à faire réfléchir, elle s’inscrit surtout dans la multitude des possibles. Elle se veut le médiateur des avancées impulsées par les technosciences et des inquiétudes qu’elles ne manquent pas de provoquer. Une fiction à la fois fun et intellectuelle. Tout ce que n’est pas le roman de Laurent Alexandre et David Angevin…
Avec Adrian Humain 2.0, on découvre une œuvre prospective, l’œil dans le rétroviseur, hantée par les ravages de TINA (there is no alternative). Prolongeant le propos de leur précédent titre, Google Démocratie, les deux auteurs continuent avec un bel aplomb à enfoncer les portes ouvertes. Ségrégation sociale mondialisée, échec des révolutions arabes, pérennisation du terrorisme islamiste, guerre larvée entre les Etats-Unis et la Chine, marasme économique durable en Europe : l’avenir imaginé par Alexandre et Angevin n’incite guère à l’optimisme, d’autant plus que les prédateurs y abondent comme larrons en foire. La loi de la jungle prévaut et les politiques se révèlent les marionnettes de puissances économiques occultes, aux premiers rangs desquelles figure Google, dirigé d’une poigne de fer par le « Prince des ténèbres ».
Transhumanisme, post-humanité, clonage, uploading de la conscience, singularité… Le roman brasse une multitude de thématiques science-fictives traitées toutes de manière plus convaincante et immersive par Greg Egan, Ian McDonald, Jean-Michel Truong, Paolo Bacigalupi et bien d’autres vrais auteurs de SF. Ici, il faut se contenter d’une vulgarisation brossée à gros traits, aux vertus strictement illustratives et à bien des égards frustrante. Une dystopie simpliste, jalonnée de raccourcis, dépourvue de nuances et adoptant le ton univoque, pour ne pas dire caricatural, la morgue et le mépris des maîtres du monde.
Mais tout ceci n’est pas le plus gênant. Adrian Humain 2.0 pêche surtout en raison d’une intrigue inaboutie, cousue de fils blancs et percluse de clichés. Avec le clan Crawford, le père détestable, en lice pour l’élection présidentielle américaine, la mère française, ex-mannequin dispensatrice de glamour auprès de l’opinion, le fils amélioré par la génétique, psychopathe criminel dépourvu d’empathie, les deux auteurs nous gâtent. D’autant plus qu’en face, les bioluddites — ramassis d’opportunistes, de fous de Dieu (Allah et ses autres déclinaisons), d’adorateurs de la nature, de défenseurs du principe de précaution et d’autres fascistes de tous poils — ne brillent guère par leur intégrité. Alexandre et Angevin saupoudrent de surcroît l’histoire d’un name dropping envahissant, se voulant sans doute vachard dans leur esprit. Ils sont juste racoleurs, flinguant au passage la crédibilité de leur roman.
Au final, Adrian Humain 2.0 ne fait qu’entretenir le désenchantement pour le futur. L’aspect dystopique pourrait être intéressant s’il n’était desservi par une intrigue guère convaincante, pour ne pas dire navrante, que l’on peut résumer par la formule bien connue : tous pourris. Bref, un roman à oublier. Cela ne devrait pas être trop difficile…