Quarante années après le départ de l’Atlas pour les étoiles, on s’apprête enfin à révéler le message laissé dans une capsule par Lee Suh-Mi et Cillian Mackenzie, l’Éclaireuse et le directeur marketing à l’origine du voyage sans retour vers la planète où résiderait Dieu. Quarante ans, c’est justement à peu près l’âge de Carlos Moreno, enquêteur efficace du ministère de la Justice de Norope, le gov-corps regroupant le Royaume-Uni et les pays scandinaves. Aussi connu parce qu’il a été abandonné par sa mère dans sa plus tendre enfance, il aimerait que l’événement ne ramène pas à la surface ce passé familial dramatique dont son père ne s’est jamais remis, optant pour la réclusion au sein du Cercle, la secte fondée par Alejandro Casales, dont les membres ont tous été recalés à la sélection de l’Atlas. Pourtant, ce passé se rappelle à son souvenir, non par l’entremise de l’hystérie médiatique autour de la capsule de l’Éclaireuse, mais parce que l’on retrouve le corps démembré du gourou du Cercle dans une chambre d’un hôtel low-tech anglais. À vrai dire, ses supérieurs ne lui laissent guère le choix : résoudre ce crime le plus rapidement possible, et ainsi dénouer la crise diplomatique qui s’amorce entre les trois principaux gov-corps, ou repartir pour dix ans supplémentaires d’esclavage. Dans tous les cas, rien que des mauvais choix.
Avec After Atlas, Emma Newman continue de nous dévoiler le futur esquissé par Planetfall. Cette fois-ci, nous restons sur Terre, découvrant un monde exsangue, en proie aux guerres endémiques, avec un écosystème en lambeaux et des ressources en voie d’épuisement. De puissantes entités supranationales issues du mariage incestueux entre le politique et les firmes transnationales, les gov-corps, se partagent la planète. Cette oligarchie hypocrite et prédatrice assure à la population un minimum vital, dispensé sous forme d’ersatz alimentaires générés par des imprimantes 3D, des jeux massivement immersifs et des informations formatées. Sans cesse dorloté par un Assistant Personnel Artificiel avec lequel il communique via la puce implantée dans son corps, le vulgum pecus semble avoir renoncé à toute velléité de lutte des classes. Quant aux déchus du système, victimes de trafiquants esclavagistes, ils sont ramenés au statut de non-personne, condamnés à une longue existence de servitude pour payer leur dette au propriétaire de leur contrat. De quoi faire passer leSoleil vert de Richard Fleischer pour une douce utopie. Avec After Atlas, Emma Newman malmène nos certitudes, sacrifiant l’humanisme sur l’autel de l’instinct de survie. La rareté et le capitalisme ont accouché d’un monde cauchemardesque où la liberté n’est qu’une illusion qui se monnaye au prix fort. L’autrice use des ressorts du whodunit pour en dresser un tableau sinistre. Une vision que l’on aimerait bien ne pas voir se réaliser et dont pourtant on perçoit les prémisses, tant ses spéculations brassent des thèmes sociétaux familiers. À l’instar de l’enquêteur désabusé du roman noir, mais agissant davantage ici en analyste de données, Carlos cherche à survivre dans un monde vendu à des puissances aveugles aux drames individuels, son personnage contribuant à porter de manière puissante le déroulé d’une intrigue oscillant entre roman noir et spéculations science-fictives.
Bref, dans un registre différent, Emma Newman confirme l’excellent ressenti à la lecture de Planetfall, démontrant par ailleurs la réussite de son passage de la fantasy urbaine à la science-fiction. After Atlas a le charme vénéneux de la dystopie, donnant à réfléchir sur les lendemains qui déchantent. L’autrice nous renvoie ainsi à nos choix présents, sans chercher à faire preuve d’angélisme ou à diaboliser outre mesure. Une qualité précieuse, magnifiée par un art du récit impeccable. On en redemande !