Alexander WEINSTEIN
ACTUSF
350pp - 20,90 €
Critique parue en octobre 2022 dans Bifrost n° 108
After Yang est un recueil de treize nouvelles inscrit dans la liste des cent meilleurs livres de l’année 2016 du New York Times, et dont l’intérêt pour sa traduction française est certainement dû à l’adaptation d’une des nouvelles, « Nos adieux à Yang », par Kogonada, avec en tête d’affiche Colin Farrell.
Dans son recueil, Alexander Weinstein cartographie un futur proche mettant en scène notre rapport aux technologies et son incidence sur le quotidien. Sans surprise, l’humain y délaisse sa vie réelle au profit d’une expérience et d’une existence sans limite dans le virtuel, comme dans « Les Enfants du nouveau monde », où un couple devient parents d’enfants qu’il ne peut avoir dans la vraie vie. L’incapacité du héros de « Ouverture » à recourir à la parole avec sa petite amie l’amène à rompre, une vie sans réseau étant pour lui impossible. Or, la technologie a ses limites et n’est pas dénuée de noirceur. Un androïde n’est pas éternel, il peut tomber en panne – non, mourir – car dans « Nos adieux à Yang », ledit Yang est un frère avec lequel on joue, un fils qui aide à entretenir le jardin, une nounou, aussi, pendant que les parents travaillent, mais un membre à part entière de la famille, un presque humain qui, un jour, décède, et dont on entretient le souvenir. « Les Cartographes » questionne : comment ne pas devenir fou quand on vit dans les souvenirs des autres, souvenirs dont on devient dépendant ? Dans « Migration », Max fuit la vie virtuelle de ses parents qui y travaillent et entretiennent même des relations sexuelles extraconjugales tout en étant côte à côte dans le même lit dans la vie réelle. Max, lui, ne rêve que d’une seule chose, faire du vélo, du vrai. L’envie de vivre autrement résonne dans certains textes, des résurgences vite étouffées par l’infinie possibilité de la virtualité. Le recueil se conclut par une nouvelle postapocalyptique, « Âge de glace », où quelques survivants vivent dans des igloos, en harmonie semble-t-il, jusqu’à ce que l’un d’eux creuse la glace et… paf ! tout recommence.
Si on devait faire passer un électroencéphalogramme à ce recueil, nul doute que le résultat serait une belle ligne droite. Quelques pics d’intérêt pour « Nos adieux à Yang »,« Les Enfants du nouveau monde » et « Ouverture », mais dont les chutes retombent comme des soufflés. L’auteur alerte sur des sujets qui concernent notre génération ultra-connectée, mais dont les effets ne nous sont pas inconnus et ne surprennent guère : l’extrémité du monde dépeint par Alexander Weinstein est déjà là. Quant au lecteur de SF qui expérimente ce futur depuis bien trop longtemps, il y a peu de chance qu’il se sente bouleversé par cette lecture, ingurgitant passivement ce « nouveau monde » sans savoir pourquoi ni comment le changer.