Daniel O'MALLEY
SUPER 8
816pp - 23,00 €
Critique parue en octobre 2017 dans Bifrost n° 88
Myfanwy Thomas est de retour. Ou plutôt, la deuxième Myfanwy, puisque l’héroïne de The Rook, au service surnaturel de sa majesté, s’était réveillé au début du roman, faut-il le rappeler, sans aucun souvenir, dépositaire d’un corps qui n’était pas le sien. Depuis, elle en a fait du chemin, Myfanwy. Elle est à présent l’un des piliers de la Checquy, une Tour, chargée de mener à bien la fusion de deux entités ennemies : la Checquy, donc, organisation ultra-secrète, sise en Grande-Bretagne, dont la mission est de défendre le royaume contre les phénomènes surnaturels (et ils sont légion !), et la Wetenschappelijk Broederschap Van Natuurkundigen, composée de Greffeurs, hommes et femmes modifiés, améliorés, grâce à une science chirurgicale poussée à l’extrême. Or, ces deux groupes ont un gros contentieux : des années de guerres sanglantes et sans pitié, surtout la bataille de l’île de Wight en 1677. Autrement dit, le travail d’équipe ne va pas de soi. Pour couronner le tout, une troisième partie semble vouloir rebattre les cartes. Et elle se montre pour le moins inventive dans les moyens de massacrer ses opposants. Il va falloir faire preuve de diplomatie pour mettre tout ce petit monde d’accord. Et ne pas hésiter à expliquer son point de vue avec force.
Et c’est parti pour plus de huit cents pages menées tambour battant. Daniel O’Malley s’y entend pour embarquer son lecteur dans une intrigue suffisamment complexe pour tenir la distance, mais pas trop afin de ne pas le perdre. Pour la plus grande tristesse des fans de Myfanwy, cette dernière laisse la vedette aux plus jeunes. Mais rassurons-les, elle est tout de même très présente dans l’histoire. La narration se partage donc pour l’essentiel entre Felicity et Odette. La première est un membre lambda de la Checquy, régulièrement envoyée sur le terrain. Son équipe étant décimée, elle se retrouve, pour son plus grand désespoir, obligée de protéger la seconde, Odette Leliefeld, une Greffeuse. Il est peu de dire que le courant ne passe pas, au début, entre les deux jeunes femmes. Pour chacune, l’autre est un monstre, une abomination, un furoncle à éliminer de la surface de la Terre. C’est d’ailleurs un des charmes de ce roman : les interactions très riches entre les personnages. Et surtout, entre les Britanniques et les Greffeurs, à base de suspicion, de paranoïa (justifiée dans la plupart des cas), de coups tordus. Chacun mène son jeu, n’hésitant pas à trahir ses associés d’hier, sa propre famille. Seul le but fixé compte. Et tant pis pour les victimes… un mal nécessaire.
Histoire de pimenter le tout, la galerie de créatures déjà présente dans le premier volume s’enrichit de nombreuses bestioles intrigantes, monstrueuses, souvent effrayantes et mortelles. On se croirait dans un gigantesque mix de Men in Black et de Fringe. À se poser des questions sur le régime alimentaire de l’auteur : quelles substances absorbe-t-il avant de se mettre à l’écriture pour inventer de telles horreurs ? En tout cas, cette capacité lui permet d’écrire quelques pages proprement terrifiantes, à base de membres broyés, brûlés, arrachés, déchiquetés… Du gore pur et dur. Mais, et c’est une des forces de cet ouvrage, tout cela reste teinté d’un humour so british, d’un détachement bien particulier face aux situations les plus terrifiantes.
L’éditeur (ou l’agent, ou l’entourage, enfin, quelqu’un) de Daniel O’Malley aurait dû insister pour qu’il taille dans le gras et supprime quelques bonnes dizaines de pages (voire une ou deux centaines), c’est certain. Ce qui n’empêche pas Agent double de rester une lecture agréable et sans (trop de) temps mort. Bien sûr, certains passages sont convenus et manquent un brin d’originalité. Mais peut-on – et même doit-on – toujours tout inventer ? Au diable les hésitations : embarquez pour cette galerie des horreurs bien séduisante.