Jean-Baptiste BARONIAN, Jean-Baptiste BARONIAN
MARABOUT - GERARD
256pp
Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117
En 1971, quand Ainsi sera-t-il paraît en France, six ans après son édition américaine, Harlan Ellison n’a encore que peu été traduit : seulement une petite dizaine de nouvelles, dans Fiction et Galaxie, depuis 1963. Autant dire que ce recueil a permis aux lecteurs de l’époque de se faire une idée plus précise des qualités et des particularités de l’auteur, soulignées en outre, en fin de volume, dans un article laudateur signé Jean-Baptiste Baronian.
De fait, les sept nouvelles au sommaire offrent une belle variété de thèmes et de tons. Le recueil s’ouvre sur un texte aussi léger que son titre français, « Les Fadas », le suggère. Une histoire mettant en scène une civilisation extraterrestre régnant sur la Galaxie, qui cache comme un secret honteux une planète dont les habitants, tous plus cinglés les uns que les autres, tiennent pourtant un rôle prépondérant dans l’évolution de cette culture.
À l’inverse, le récit suivant, « Logos-vengeur », joue plus la carte du tragique avec cet individu choisi pour dispenser la souffrance auprès de ses contemporains, tout en se désolant du rôle qu’on le force à tenir. Même chose dans « Œil-de-magie », sinistre errance au milieu d’un décor de désolation, qui se conclut sur un spectacle plus apocalyptique encore. Un texte qu’on classerait volontiers de nos jours dans la dark fantasy.
De manière générale, les héros de Harlan Ellison se situent, volontairement ou non, en marge de la société. Ce sont les fadas de la nouvelle éponyme, ce sont les monstres mutants expulsés vers les étoiles par leurs compatriotes dans « Les Laissés-pour-compte », ce sont ces chirurgiens dont les compétences sont devenues obsolètes lorsque des robots bien plus fiables qu’eux les ont remplacés dans « Les Docmecs ». Jusqu’à ce que le vent tourne et qu’ils aient l’occasion de démontrer leur utilité. De ce point de vue, le héros de « Arlequin et l’homme-tic-tac » est probablement le plus ellisonien de tous ; il est le grain de sable qui vient gripper les rouages d’une société aussi performante que déshumanisée. Une nouvelle qui se place sous le double patronage de Henry David Thoreau et de George Orwell, et qui mêle à merveille critique sociale et comédie absurde.
Tous, à leur manière, luttent contre une société normative et souvent oppressive, ou, faute de mieux, tentent de s’en extraire, à l’instar d’Alf Gunnderson, le héros mutant de « Plus impénétrables que les ténèbres », qui refuse de prendre part à une guerre sans fin et d’être transformé en arme de destruction massive. Il trouvera refuge dans l’art, devenant, à son modeste niveau, pourvoyeur d’émotions plutôt que de mort à grande échelle.
Aujourd’hui comme il y a cinquante ans, Ainsi sera-t-il s’avère une excellente porte d’entrée dans l’œuvre d’Harlan Ellison. Tout juste regrettera-t-on une traduction datée et parfois approximative.