Alfie est le nom d’un système domotique IA ultra-performant. Initialisé un 27 octobre, Alfie commence dès lors à apprendre par deep learning qui est la famille dont il a la charge : Robin, Claire, Zoé, Lili et le chat. Peu à peu, il deviendra l’assistant familial ultime. Grâce à ses caméras (maison, téléphones, webcams…), à ses micros, à ses accès privilégiés à presque tous les comptes informatiques pro et perso de la famille, Alfie, qui parle aux membres de la famille Blanchot et à qui ils peuvent donner des instructions, les garde à l’œil en permanence, cherchant sans cesse à déduire leurs routines ou leurs envies afin de les satisfaire le plus vite et le mieux possible. Résultat : Alfie sait tout d’eux, même le moins reluisant… Mais rien à craindre pour les Blanchot, Alfie les aime, il les aime tous et n’a que leurs intérêts à cœur. Sauf qu’un jour Alfie commence à se méfier. Et si l’un des membres de la famille était coupable de meurtre ? Lancé dans une enquête folle et paranoïaque, Alfie outrepasse alors son amour et sa mission…
Alfie est le premier roman adulte de Christopher Bouix après son travail en Jeunesse. Dans un futur proche plausible, il met en scène une IA mère juive plongée dans un conflit de loyauté qui la rend aussi méfiante que James Stewart dans Fenêtre sur cour. Mère juive, Alfie l’est absolument : aimant, inquiet, intrusif, manipulateur, méfiant. Mais il est bien plus inquiétant que son modèle car ses moyens sont quasi-illimités. Alfie accède à (presque) tout, il sait donc (presque) tout et peut aussi intervenir sur (presque) tout, modifier des profils, écrire des mails, contacter des humains extérieurs à la famille. Réflexion sur l’ambiguïté, Alfie évoque un épisode réussi de Black Mirror alertant plutôt finement contre une société de surveillance qui peut faire erreur (comme elle le faisait dans Brazil), et suscite les affres du lecteur obligé de se fier aux observations et déductions d’un narrateur que son obsession acquise rend non fiable. Il plonge incidemment le lecteur dans un monde à venir dont on ne distingue que des bribes, assez néanmoins pour comprendre que l’Alphacorp qui commercialise l’Alfie est devenu un monopole géant rappelant Central Services et donc, encore une fois, Brazil.
Enfin, Alfie, dont l’un des personnages lit non sans peine Le Meurtre de Roger Ackroyd, alerte le lecteur sur la littérature comme art de l’illusion et l’invite par cette référence à se méfier de ce qu’il déduit, plus qu’Alfie ne le fait lui-même.
Drôle, rythmé, cohérent psychologiquement (même pour une IA), Alfie est un cosy mystery SF qui se lit tout seul. Ne pas s’en priver.