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Les critiques de Bifrost

Critique parue en juillet 2017 dans Bifrost n° 87

Déjà paru en France en 1998, le troisième roman de Jeff Noon reparaît aujourd’hui à la Volte, éditeur emblématique de l’auteur, dans une nouvelle traduction de Marie Surgers (qui n’en est pas à son premier fait d’armes en la matière – voyez l’extraordinaire Intrabasses, dûment récompensé).

L’auteur était alors en plein « Vurt », un « cycle » hors-normes, où l’influence séminale de Lewis Carroll se mêlait à une sorte de cyberpunk déjanté. Avec Alice automatique, Noon rendait à César ce qui appartenait à César, mais sans oublier son univers propre. Ainsi, tout en livrant une « troisième aventure » de la petite Alice, il prolongeait en même temps Vurt et Pollen — plumes aux effets psychédéliques et chimères entre l’homme et l’animal sont donc de la partie, et ont peut-être même quelque chose d’une genèse.

Or le pays qui se trouve au-delà de l’horloge où se précipite Alice, à la poursuite du perroquet Whippoorwill, n’a rien à envier au Pays des Merveilles ou à celui qui se trouvait de l’autre côté du miroir… Car elle se retrouve à Manchester en 1998 – 138 ans de retard pour sa leçon d’anglais de quatorze heures, la grand-tante Ermintrude sera furieuse… Il lui faut donc rentrer chez elle, et à temps pour cette leçon – car la petite fille bénéficie d’une certaine force de caractère, même si elle doit beaucoup à sa candeur. Mais c’est un bien curieux univers que cette Manchester légèrement futuriste – le lecteur en est probablement plus décontenancé que l’héroïne… C’est que la néomonie y règne, qui a créé des hybrides fantasques fusionnant hommes, animaux et objets. Un blairhomme ici, un arachnogosse là, des boarocrates partout…

Et des puzzlomeurtres. Car c’est dans une enquête policière que se lance Alice : les crimes s’enchaînent, démantibulant des victimes déjà chimériques, et sur chaque cadavre on retrouve une pièce de puzzle… Ce qui tombe bien : en 1860, Alice faisait un puzzle du zoo de Londres, mais il lui manquait très exactement douze pièces – il lui suffit de les retrouver, et elle pourra rentrer chez elle…

D’autant qu’elle a des alliés : le capitaine Fracaboum, spécialiste en aléatoirologie, ou la chrownotransductionologue Chrowdingler – sans parler de Celia, l’Alice Automatique, à la fois réelle et imaginaire. Il faut bien ça pour vaincre les points de suspension…

Sur cette base, Noon livre un roman nonsensique, où la matière et les procédés de Lewis Carroll, bien intégrés et superbement pastichés (tâche ô combien périlleuse, pourtant), s’insèrent dans l’univers virtuel? ; s’instaure une complicité savoureuse entre l’auteur et le lecteur qui s’avère bien plus complexe (et singulière) que ce que l’on pourrait croire de prime abord, et merveilleusement ludique.

À l’évidence, Alice automatique a dû représenter un vrai casse-tête pour la traductrice – tant les mots-valises et autres anagrammes abondent à chaque paragraphe. Ainsi que l’on pouvait s’y attendre, Marie Surgers s’en sort au mieux, et le court roman n’en est que plus jubilatoire, car ces divers jeux de mots sont ici à leur place, et n’ont pas la lourde gratuité caractéristique d’un autre auteur de la Volte, celui qui (hordeducontre)vend bien…

Hommage passionné et réjouissant, Alice automatique constitue le plus ludique des livres de Noon? ; le projet avait quelque chose d’arrogant, mais le résultat est à la hauteur du talent de cet excellent auteur, dont on ne remerciera jamais assez l’éditeur pour ces belles éditions françaises.

Bertrand BONNET

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