« – Voilà comment je suis mort, Sam. Pouvez-vous imaginer meilleure définition de la vieillesse que penser: « Ça n'est pas pour cette fois » au moment de rendre l'âme ? Vous saisissez dans quel piège on est pris à quatre-vingts ans ? Après ça, mon vieux; croire à l'immortalité est obligatoire. Sinon, comment s'endormir le soir sans crever de trouille ? Pour tout vous avouer je me tape de la vie éternelle. Mais je veux pouvoir me dire : « Encore mille ans, Jason, le temps de faire et de défaire des centaines d'empires. Encore mille ans avant la voix qui s'éteint dans ta tête. »
À peine inférieur à La Mâchoire du dragon, l'autre titre de la nouvelle collection « Polar SF » est du même calibre, voire peut-être plus abouti en ce qui concerne l'aspect réfléchi — philosophique — de la science-fiction. Il s'agit toujours de policier bien ficelé, de l'action dénuée de démonstration pompeuse ou vaine tout ce qui est exprimé l'est sans ambages et clairement, de façon remarquablement efficace.
À partir d'un fait prospectif — l'immortalité sera une invention du XXIe siècle (entre nous, les Japonais l'annoncent pour 2015 : le vieillissement n'est pas une fatalité mais une bombe génétique à retardement susceptible d'être désamorcée…), Morrisset nous conte les mésaventures d'une jeune héritière, Alice Douglas, ressuscitée par inadvertance à une époque où la société Cryogénic Inc, chargée de congeler les morts (du moins, ceux qui en ont les moyens), s'étant approprié la fortune de ses clients, détient les rênes du pouvoir. Alice Douglas fait appel à un détective privé un peu particulier, et tous deux (trois?) devront faire face à des employés de Cryogénie Inc. remarquablement zélés.
Seul regret — qui ne remet pas en cause la limpidité de l'ouvrage — l'auteur se concentre sur un unique aspect de l'immortalité, celui de la congélation/résurrection après réparation médicale. Il néglige la question de la conscience (sans toutefois complètement l'escamoter, puisque son détective s'interroge sur la survie de sa — ses — personnalités à la cryogénisation) ; il n'aborde pas — mais peut-être le fera-t-il dans de prochaines aventures ? — le cas de l'immortalité directement obtenue par thérapie génique, c'est à dire sans qu'il soit nécessaire de « tuer » le patient en le cryogénisant. Également réduite, par l'effet du monopole, la question du devenir du patrimoine des immortels, sur laquelle McBride Allen avait, soit dit en passant, remarquablement travaillé dans L'homme modulaire (chez J'ai lu), en abordant le problème sous l'angle du transfert de conscience dans des machines.
Bref et quoiqu'il en soit, tant Alice qui dormait que La Mâchoire du dragon constituent un excellent, sinon exceptionnel, départ pour la collection « Polar SF » du Fleuve Noir; on attend la suite avec impatience.