G. Willow Wilson est une journaliste et auteur de bandes dessinées, née en 1982 dans le New Jersey. Elle a vécu en Egypte, où elle s’est convertie à l’Islam et où elle a été correspondante de journaux occidentaux (elle en a tiré une autobiographie, The Butterfly Mosque). Alif l’invisible est son premier roman.
Alif vit dans un pays indéterminé du golfe Persique ; le garçon se distingue notamment par ses capacités informatiques, qui lui ont permis de devenir l’un des hackers les plus doués de son pays (Alif est son nom de hacker). Sa principale motivation consiste à s’opposer à la censure opérée par le gouvernement, et à son principal représentant, que les hackers ont surnommé la Main. Celui-ci tente de faire arrêter tous ceux qui favorisent la liberté d’expression.
Alif, issu d’un milieu modeste, est amoureux d’Intisar, née dans une famille riche. Lorsqu’il ap-prend que le père d’Intisar l’a promise à un homme du même rang social qu’elle, Alif décide de couper les ponts avec Intisar et d’empêcher son amie de pouvoir le contacter. Pour ce faire, il crée un algorithme permettant de reconnaître quelqu’un par sa façon d’utiliser un ordinateur (frappe sur le clavier, recherches effectuées sur les moteurs du web…), sans se douter que cet algorithme servira à la Main pour découvrir sa réelle identité. Les deux hommes se lancent alors dans une course-poursuite, qui va bouleverser l’ordre établi dans le pays, et sera pour Alif l’occasion de rencontrer des créatures ancestrales : les djinns.
Etonnant mélange que ce roman. Il commence comme la chronique d’une ville du Moyen-Orient sous le joug d’un gouvernement refusant la liberté d’expression, que des hackers tentent néanmoins de restaurer ; on se situe quelque part entre la première partie de Zendegi de Greg Egan, et le Little Brother de Cory Doctorow, et leur thématique de la maîtrise de l’information. Mais à cette trame viennent s’ajouter des éléments issus tout droit des Mille et une nuits, avec l’apparition des djinns, qui vivent parmi nous mais sont invisibles aux humains d’aujourd’hui ayant délaissé leurs croyances ancestrales pour des considérations bien plus matérielles ; cette opposition entre héritage magique des traditions et geek attitude va procurer de beaux échanges de points de vue entre les différents protagonistes, représentants de l’une ou l’autre de ces orientations. Enfin, le livre bifurque définitivement vers un thriller au final nerveux. Ce mélange fonctionne bien, malgré quelques passages un peu moins convaincants (les événements se déroulant les jours suivant la sortie de la prison). Pour un premier roman, la maîtrise de Wilson est déjà assez impressionnante, tant en termes de gestion de l’intrigue et de ses éléments disparates, que pour asseoir ceux-ci dans un cadre crédible. Le fait qu’elle ait vécu en Egypte lui permet sans aucun doute de dépeindre un Moyen-Orient qui sonne juste, tout comme les personnages, à commencer par Alif, dont les origines indiennes le distinguent clairement de la population locale, et font écho aux origines occidentales de Wilson quand elle vivait en Egypte ; elle apparaît bien évidemment aussi dans le personnage de l’Américaine convertie, qu’on ne nous présentera jamais que sous l’appellation « la convertie », et qui tombera enceinte du plus évident légataire des croyances de jadis. Plus globalement, ce livre se révèle l’écho d’une vraie personnalité, forte et passionnante, qui de par sa position au croisement de plusieurs cultures, a su s’en imprégner pour nous livrer un roman à la richesse évidente, globalement bien mené, qu’on dévore donc. Alif l’invisible (nominé au prix Locus dans la catégorie premier roman) marque ainsi l’entrée convaincante de G. Willow Wilson au sein des genres défendus par Bifrost.