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Les critiques de Bifrost

Amortels

Amortels

Matt FORBECK
L'ATALANTE
336pp - 19,90 €

Bifrost n° 66

Critique parue en avril 2012 dans Bifrost n° 66

Vous avez peut-être vu Dans la ligne de mire, film de 1993 réalisé par Wolfgang Petersen où Clint Eastwood interprète un garde du corps. Un de ceux qui sont prêts à se jeter entre la balle et le président des Etats-Unis. Bien sûr, pour un tel job, il serait plus confortable d’être un amortel. Autrement dit, de faire partie de ces quelques privilégiés qui, quand un accident survient, ou, tout bêtement, quand ils trouvent leur corps trop vieux, peuvent en changer au profit d’un plus jeune et intact. Et voir toute leur mémoire transférée dans ce clone tout neuf. Alors que le reste de la population continue de crever à petit feu. D’autant plus vite que les programmes de recherche contre les grandes maladies (sida, cancer…) ont été interrompus. A quoi bon, puisque les dirigeants et les puissants sont à l’abri de ces tracas ? Bienvenue dans un monde cynique (et un tantinet simpliste) où l’espérance de vie est en régression, et la connexion avec le réseau permanente grâce aux implants.

Ronan Dooley est policier. Un policier qui, il y a bien longtemps, a sauvé un président. En remerciement de cet exploit, il a reçu le privilège de l’amortalité. Depuis, soit il assure la sécurité du président (de la présidente, en l’occurrence), soit il s’occupe d’enquêtes criminelles. Au début du roman, Dooley vient d’être assassiné. Et de revivre. Histoire d’étrenner son nouveau corps, il entreprend d’élucider les circonstances de son meurtre. Et pour commencer, il va visionner l’événement, car bien entendu, autre merveille de cette société, tout est filmé, partout ou presque. Une expérience éprouvante au regard de la brutalité du meurtrier, qui, sans raison apparente, s’acharne sur sa victime. On s’en doute : essayant de comprendre ce qui est arrivé à son ancien moi, Dooley va plonger au cœur d’une conspiration gigantesque. Le ton est donné dès le début : on ne va pas y aller avec le dos de la cuillère côté spectacle, à grands renforts d’explosions et de bande son à fond la caisse, et ce jusqu’à une fin grandiloquente confinant au ridicule tant elle vise le grandiose.

Ce qui ne signifie pas que ce roman soit sans qualité aucune, bien au contraire. La société proposée par Matt Forbeck, malgré ses aspects caricaturaux, s’avère cohérente et, de fait, déprimante à souhait, tant les inégalités fleurissent à chaque coin de rue. Le personnage principal nous promène d’un quartier à l’autre de Washington, des fastes du pouvoir aux antres sordides de tueurs sans scrupules. Dans la mesure où il avait négligé de faire ses sauvegardes régulières, c’est plusieurs semaines de vie avant son assassinat qui lui manquent. Dooley doit donc revenir sur ses pas, redécouvrir ce qu’il avait alors deviné. Ce procédé assez classique justifie malgré tout certaines explications nécessaires au lecteur, explications qui auraient pu paraitre artificielles en d’autres circonstances. On est ainsi plus près du personnage central, on s’interroge avec lui. Sur les raisons de son meurtre. Mais aussi sur les conditions d’amortel. Comme dans le roman de Walter Jon Williams chez le même éditeur, Le Coup du cavalier, on suit ici un héros en proie à la lassitude, aux doutes. Comment garder une famille quand on voit mourir sa femme, puis ses enfants ? Qu’on finit par perdre le compte des générations ? Comment accepter de revenir éternellement quand la plupart des autres meurent ?

Roman rythmé et efficace, Amortels, malgré une fin décevante et une absence de génie manifeste, reste un ouvrage de bonne tenue, une lecture divertissante, un casse-croûte léger, ce qui n’est pas sans intérêt en ces temps de lourdeur.

Raphaël GAUDIN

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