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Les critiques de Bifrost

Anamnèse de Lady Star

Anamnèse de Lady Star

L. L. KLOETZER
FOLIO
544pp - 9,90 €

Bifrost n° 83

Critique parue en juillet 2016 dans Bifrost n° 83

La quatrième de couverture de l’édition originelle d’Anamnèse de Lady Star, second ouvrage de l’entité L.L. Kloetzer, affirme d’emblée que ce roman « fera date dans l’histoire de la science-fiction française ». Et sans doute cette prophétie mérite-t-elle de se réaliser… Car il s’agit d’un livre foisonnant, et ce sur tous les plans – mais peut-être brille-t-il avant tout du fait d’une remarquable adéquation du fond et de la forme, témoignant d’un effort rare, conjoint et fructueux sur les deux plans, indissociables ?

Car cette enquête historique (et judiciaire ?) menée par la chercheuse Magda Makropoulos, se livrant à une complexe archéologie des sources numériques – cette « anamnèse », donc, ce travail sur la mémoire susceptible de tant de connotations, peu ou prou toutes appropriées –, s’inscrit notamment dans le cadre d’une sorte de roman choral, où chaque témoin offre un nouveau point de ressouvenir, mais s’inscrivant dans un rapport personnel aux faits, nécessitant des approches formelles différentes. Ce qui, à vrai dire, confine parfois à l’exercice de style – mais cette qualification, souvent péjorative, s’avère pourtant inappropriée, car c’est ici la justesse de ton qui domine.

Une belle manière de subvertir un thème apocalyptique ou post-apocalyptique relativement classique, en somme, tant au sens de destruction globale que d’épiphanie d’ordre religieux ; rien d’étonnant, dès lors, à ce que le drame incommensurable fondant le roman, cette annihilation soudaine de plus des trois quarts de l’humanité (qui survit, pourtant, dans les îles et les étoiles – et sans vraie régression) via l’usage d’une terrifiante « bombe iconique », soit qualifié d’un terme autrement connoté, celui de « Satori » – renvoyant à l’illumination du moine bouddhiste en prise avec l’illusion du monde, et percevant, derrière la futilité apparente d’un kôan par essence illogique, la réalité sous-jacente, affranchie des distorsions humaines.

Une autre conséquence, cependant, est que le roman, hermétique, ne tend guère la main au lecteur – parfois au point de le perdre un peu… Mais l’appréciation globale demeure, ô combien positive, ce sentiment d’un à-propos permanent, d’un livre exigeant mais à bon escient.

Par ailleurs débordant d’idées – d’autant mieux servies qu’elles sous-tendent une intrigue ambitieuse autant que palpitante, ne s’arrêtant certes pas aux seuls faits à redécouvrir, mais visant plutôt, au-delà de la seule compréhension de ce qui s’est produit, à en déterminer une sorte de signification, ce qui n’est pas tout à fait la même chose…

D’où la quête de cette « femme » étrange et dotée de mille visages et de mille noms, cette Élohim – non-humaine, mais encore ? – qui semble, de par sa seule présence diffuse, donner un sens à l’histoire ; or la tentation est grande d’user de ce liant improbable pour expliquer l’inexplicable – au-delà du questionnement éthique, le cas échéant. Quoi qu’il en soit, cette « Hypasie », ou quel que soit le nom (chargé de sens) qu’on lui donne, semble toujours se trouver là – mais quel est son rôle ? Muse, femme fatale, complice, témoin, amante, égérie ? Peut-être tout cela à la fois… ou rien de la sorte – tant elle est rétive à la compréhension, car issue d’un niveau de sens foncièrement différent. Mais sa traque a ceci de déconcertant qu’elle semble d’une certaine manière forcer son apparition à tous les degrés de l’enquête – comme si Magda, en cherchant à l’identifier, la suscitait elle-même… au point de parasiter ses recherches par une vertigineuse et inaccessible boucle de rétroaction.

Le résultat final est remarquable, et bien au-dessus du lot. Anamnèse de Lady Star est un superbe roman, à n’en pas douter une des œuvres les plus enthousiasmantes et fascinantes de la SF française de ces dernières années – et peut-être plus encore.

Bertrand BONNET

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