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Les critiques de Bifrost

Critique parue en juillet 2016 dans Bifrost n° 83

La Zone X. Un endroit dangereux. En expansion. De nombreuses expéditions s’y sont perdues, parfois corps et âmes. Certains de ces explorateurs sont réapparus chez eux, on ne sait trop comment, différents, puis sont morts quelques mois plus tard, terrassés par un cancer foudroyant. D’autres se sont suicidés ou ont disparu sans laisser de trace. Une douzième expédition est envoyée dans la Zone X, composée de quatre femmes. La Psychologue mène. La Biologiste observe, enquête et raconte. Aucune de ces scientifiques n’aura jamais de prénom.

Annihilation est le premier volume de la trilogie new weird du « Rempart Sud ». Un livre précédé par une aura pour le moins flatteuse : best-seller aux USA, traduit dans vingt-quatre langues et en cours d’adaptation cinématographique par Alex Garland (l’auteur du très bon La Plage, à qui on doit la bonne surprise cinématographique Ex Machina).

Pour le lecteur qui ne connaît rien à la science-fiction des pays de l’Est (ou a fortiori qui ignore tout de la SF), Annihilation est un choc alangui, une découverte envoûtante. Malheureusement, pour le lecteur qui a lu et apprécié Stalker des frères Strougatski et Solaris de Stanislas Lem, Annihilation apparaît avant tout comme une étrange tambouille américaine, un bancal remix de deux chefs-d’œuvre de la science-fiction mondiale. Et il est difficile d’être un dieu de faire abstraction de cet aspect « gênant ». Les scènes dans la zone rappellent Stalker (mais Stalker était avant tout une histoire d’hommes, alors qu’Annihilation est avant tout une histoire de femmes), la description des relations difficiles de la Biologiste avec son mari, revenu différent de la zone X, nous ramènent à Solaris et à son discours filé sur l’impossibilité pour deux espèces étrangères de communiquer autrement que de façon détournée et oblique. Pour l’observateur extérieur, l’homme et la femme ressemblent alors à s’y méprendre à deux espèces étrangères… Paradoxalement, alors que l’ouvrage est traversé d’horreurs et de merveilles (comme dans les meilleures nouvelles de Lovecraft), c’est l’aspect mainstream qui s’impose comme le plus réussi dans le roman. On tombe sous le charme des souvenirs de la Biologiste et on s’ennuie doucement dans cette zone X, ce désert des Tartares aux règles trop floues. Autre écueil, et pas des moindres, le roman alterne passages extrêmement littéraires (les flashbacks) et passages quasi-scénaristiques calibrés pour une adaptation audiovisuelle.

Annihilation, qui a valu à Jeff Vandermeer une reconnaissance mondiale, est un premier acte, presque une introduction à la zone X. On attend maintenant les deux tomes suivants, pour voir si l’auteur s’affranchit avec brio de ses pesantes figures tutélaires : Stalker et Solaris – deux orages venus de l’Est encore bien vaillants qui font d’Annihilation un pétard à moitié mouillé.

Thomas DAY

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