Matt Bell est un écrivain américain. Outre-Atlantique, il est l’auteur de quelques recueils de nouvelles. Appleseed est son premier roman, publié en 2021. Il arrive aujourd’hui en France chez L’Atalante avec le même titre et dans une traduction de Marie Surgers.
xviiie siècle, Ohio. Chapman et Nathaniel, deux frères, traversent ce qui n’est pas encore un État américain pour y planter des vergers de pommiers afin de « s’enrichir » en vendant le bois aux colons qui viendront s’établir sur ces terres encore vierges. D’est en ouest ils vont, le plus souvent seuls, précédant les vagues « civilisatrices » et leur « Destinée manifeste ». Un détail : si Nathaniel est humain, Chapman, son demi-frère, est à moitié faune.
Fin du xxie siècle, USA. John fait partie d’un petit groupe qui résiste à l’avancée inexorable de Earthtrust, une megacorp qui prétend sauver le monde d’un changement climatique ayant commencé à produire des ravages innombrables. De la Zone de Sacrifice – la moitié ouest des USA, abandonnée et promise au réensauvagement – à l’Ohio, où se trouve le siège d’Earthtrust, John et ses alliés, au péril de leur vie, tentent une opération dont l’objectif est de dénier à Eury Mirov, fondatrice et dirigeante d’Earthtrust, le droit de décider seule et pour toute l’humanité de l’avenir de celle-ci. Un détail : John fut l’amant d’Eury et le cofondateur de la firme.
Mille ans dans l’avenir. Ohio ? Le monde est recouvert par une épaisse couche de glace. Sur ce glacier sans fin chemine C-432, un être humanoïde qu’une « chenille » motorisée transporte de point en point afin de récupérer les maigres vestiges de ressources naturelles accessibles à partir des crevasses qui fissurent le glacier. Quand une opération de récupération tourne mal et provoque la mort de C-432, le Tisseur, à l’intérieur de la « chenille », imprime un successeur, C-433, qui a les souvenirs de tous ses devanciers mais décide – c’est inédit – de choisir un autre destin que le scavenging glaciaire. Pour le détail, il faudra lire.
Appleseed est un magnifique roman de science-fiction post-apo’ mâtiné de réflexion écologique et aussi d’éco-fabulisme, avec un angle qui n’est pas celui de Kim Stanley Robinson dans Le Ministère du futur, tant il est résolument ancré dans la deep ecology, ce que n’est pas le roman de KSR. Ce qu’affirme Matt Bell au lecteur, c’est l’absurdité fondamentale de la croyance biblique selon laquelle le monde est donné aux hommes par Dieu pour qu’ils le dominent et l’assujettissent – version protestante : dominant la nature, l’Homme parachève la Création divine. Il ironise aussi sur la théorie US de la Destinée manifeste décrivant l’Amérique comme « terre libre » à coloniser pour la mettre en culture et ainsi la civiliser – Bell rappelle régulièrement qu’y vivaient d’autres hommes avant et que, de surcroît, l’humain n’est pas le centre de tout. Il dénonce, de plus, la volonté mégalomaniaque de tycoons prêts à initier une géo-ingénierie risquée sans l’accord de quiconque, prêts aussi à asservir – fut-ce volontairement – des humains qui cesseraient alors d’être des citoyens pour devenir des sujets à qui on a promis la survie en échange de la liberté politique. Le dernier temps de la valse se situe dans le lointain futur quand, on le suppose au début, faute d’en savoir plus, quelque chose a très mal tourné et qu’il s’agit de régénérer – sur quelles bases ? – une planète dépeuplée d’humains. Une forme de grand reset, si ce terme n’était devenu un étendard complotiste.
Entre mythologie, éternel retour, et résurgence d’une vision non ethnocentrée de la planète et de l’écosystème, Bell développe un récit tortueux qui alterne moments contemplatifs et scènes d’action violente. Très joliment écrit dans une veine nature writing assez logique ici, porté par l’importance de son sujet et son angle idéologique assez rare en SF, emmené par des personnages dont aucun ne laisse indifférent – avec une mention spéciale pour Chapman et Nathaniel, si aimables qu’on se sent vite en harmonie avec eux –, Appleseed n’est ni Le Ministère du futur (qu’il complète au point qu’on ne peut décemment pas lire l’un sans l’autre) ni le Choc terminal de Neal Stephenson. C’est un roman sensible, beau, aussi fort dans les idées que travaillé dans l’écriture. Et même si, vers la fin, la science y devient, disons, incertaine, qu’importe ! C’est un superbe texte qui émeut autant qu’il fait réfléchir. Moins à la survie de l’homme – comme souvent – qu’à sa place dans la biosphère. Stephen Graham Jones écrit : « La raison pour laquelle vous n’avez jamais lu de livre comme Appleseed est qu’il n’y a jamais eu un livre comme Appleseed. » Il a sans doute raison.
Et pour son titre non traduit, il fait référence à Johnny Appleseed, un mythe US, considéré comme l’un des premiers écologistes, dont l’histoire « authentique » est racontée ici, à moins que ce ne soit la légende. Qui peut savoir ?