Le fantastique n’a pas bonne presse dans l’Hexagone, du moins si l’on se fie à la rareté des collections dédiées au genre. Si l’on fait abstraction de Stephen King et d’autres gros vendeurs, il n’a voix au chapitre que travesti sous l’étiquette thriller ou au rayon roman noir — bref, en contrebande. La parution d’Après toi, les ténèbres vient tenter de rompre cette routine. Roman d’amour, roman de mort, le livre de Gus Moreno emprunte les voies feutrées de l’indicible, nous sortant de notre zone de confort. Par touches subtiles, il instille le doute et le malaise avant de basculer vers l’horreur pure sans jamais paraître outrancier ou artificiel, on va le voir.
Thiago aime Vera d’un amour sans rémission possible. Mais Vera est morte, tuée dans un accident aussi bête que cruel qui ne ménage aucun apaisement au jeune homme dont le récit prend le ton d’une confession adressée à son épouse défunte. Il la tutoie, se remémorant leurs moments passés, bons comme mauvais, et les petits faits d’abord anodins, puis bizarres et inquiétants, qui ont précédé sa mort. Il lui raconte aussi l’après, les funérailles, les formules creuses dictées par les conventions sociales, la culpabilité et l’absence cruelle de l’être aimé. Il décrit enfin cette sensation étrange d’être épié, surveillé, suivi jusque dans sa fuite vers l’Ouest. Une présence tenace et finalement funeste. Se faisant, Thiago nous entraîne dans sa chute irrésistible, sa paranoïa flirtant jusqu’à la folie. À moins que tout ne soit réel. Horriblement réel.
Gus Moreno a bien retenu la leçon. Un bon roman d’horreur prend racine dans le quotidien, se fondant dans un traumatisme bien réel. Après toi, les ténèbres est le roman d’un deuil qui ne passe pas, jalonné d’événements surnaturels. Hanté par la mort de son épouse, Thiago se sent pourchassé par une entité malveillante qui cherche à faire irruption dans le réel via sa peine incommensurable. Il rompt avec son quotidien, la famille de Vera, ses amis par procuration, recherchant dans l’éloignement et la solitude la tranquillité d’esprit qui lui fait défaut. Évidemment, les choses ne sont pas aussi évidentes. L’auteur tisse lentement sa toile, jalonnant le périple de Thiago de faits inexplicables. Peu à peu, ils cèdent la place à des manifestations plus atroces et on accompagne Thiago dans ce crescendo horrifique, ne sachant plus où se trouve la frontière entre notre univers et la déclinaison irrationnelle et terrifiante issue de sa psyché.
À la lecture de Après toi, les ténèbres, on comprend que l’on ne ressort jamais indemne de la mort d’un proche, en dépit de tous les discours lénifiants sur le sujet. La mort transforme à jamais l’individu qui la côtoie. On comprend également toute la puissance cathartique du fantastique et de l’horreur sur nos esprits, cette littérature qui nous renvoie à nos peurs les plus intimes. Pour toutes ces raisons, Après toi, les ténèbres est un grand roman qu’il ne faut absolument pas rater.