[Critique commune à Déluge et Arche.]
Le point de départ de ce diptyque est assez original : en effet, pour nous parler de la fin de la Terre telle que nous la connaissons, Baxter commence par nous décrire un futur proche dans lequel l’Espagne s’est fragmentée sous l’effet du terrorisme, et introduit ses protagonistes sous la forme d’un groupe d’otages soudé par cinq ans de captivité. De leur libération, alors que le niveau des eaux commence à monter, jusqu’à la fin de l’histoire, ils ne cesseront de rester en contact les uns avec les autres.
La fin de la Terre ? Presque, car la montée des eaux de Stephen Baxter, ce n’est pas de la gnognotte : au lieu de nous resservir l’habituelle fonte des calottes glaciaires, qui ferait certes des dommages, mais limités, il propose une hypothèse plus osée, plus SF : l’idée que le manteau de notre planète renferme de gigantesques océans souterrains qui, à la faveur d’un mouvement tectonique, se déversent en surface. Du coup, la crue — plus que le déluge du titre — est désormais quasiment sans fin, et le niveau des eaux va monter de plusieurs kilomètres. L’environnement de la Terre opère ainsi un changement complet, et l’on imagine bien que ce postulat va permettre à Baxter de nous décrire le phénomène dans toute son ampleur et d’en analyser toutes les conséquences. Plutôt que d’adopter un mode de narration globalisant, où l’on passerait en revue les conditions climatiques changeantes sur toute la planète, il préfère garder le focus sur ses otages qui vont peu à peu prendre conscience de l’universalité du phénomène tout en essayant de sauver leurs proches ; même lors d’un cataclysme planétaire, Baxter reste ainsi au plus près de l’humain. C’est l’un des principaux intérêts de Déluge : mêler destin particulier et catastrophe écologique majeure, sans verser trop dans le mélodramatique (à ce titre, Baxter ne donne jamais de chiffres sur la portion de population ayant péri suite à la crue).
Baxter adopte une narration chronologique, où le lent défilé des dates résonne douloureusement avec l’inexorabilité de l’augmentation du niveau des eaux. Les tentatives de l’Homme pour contrer cette catastrophe, même si elles sont parfois audacieuses (le personnage de Nathan Lammockson, milliardaire égoïste mais visionnaire, est à ce titre emblématique de la théorie darwiniste selon laquelle seuls les plus forts réussiront à s’adapter), semblent irrémédiablement vouées à l’échec. Après tout, qui sommes-nous, pauvres êtres humains, face à des phénomènes qui nous dépassent ? Et ce n’est pas la dernière scène du roman, inévitable et inoubliable (des scènes comme celle-là nous rappellent pourquoi nous lisons de la SF), qui changera cette conclusion.
Dans Déluge, Lammockson et les siens construisent la Troisième Arche, gigantesque plateforme-radeau assemblée de bric et de broc qui leur permettra de continuer à exister quand les eaux recouvriront toute la planète. Mais pourquoi troisième ? Eh bien, c’est ce à quoi va répondre Arche, second volet du diptyque. Pas totalement synchrones (Arche commence alors que la crue est déjà bien entamée), les deux romans se recoupent beaucoup, et partagent même certaines scènes communes. Lorsque l’humanité se rend compte de l’inéluctabilité de l’événement auquel elle assiste impuissante, des milliardaires — parmi lesquels figure bien évidemment Lammockson — décident de construire un vaisseau spatial qui permettra à l’homme de coloniser une nouvelle planète lorsque la Terre sera devenue invivable. Même si Baxter aborde de front les questions scientifiques sur la possibilité d’un itinéraire au long cours (via une bulle de distorsion permettant un voyage en accéléré), et technologiques sur la création de ce vaisseau-arche, il ne s’y étend pas. Ce qui l’intéresse davantage, c’est encore une fois l’aspect humain. Aussi va-t-on assister à la formation du futur équipage : des jeunes femmes et hommes qui apprendront à se connaître au fil des années, tout en se perfectionnant dans différentes spécialités scientifiques. Puis arrive le moment du départ, où un grain de sable vient s’immiscer à bord du vaisseau sous la forme de « Personnes Déplacées », entendez les laissés-pour-compte qui décident de se rebeller et dont certains vont réussir à pénétrer dans l’arche. Dès lors, les tensions, que l’on avait voulu éviter par la formation groupée de tout l’équipage, vont se multiplier. Cette partie est la moins convaincante du diptyque, car Baxter abandonne toute prospective scientifique rigoureuse pour lui préférer le ressort dramatique souvent peu vraisemblable de la vie à bord de l’Arche (on imagine difficilement qu’un des protagonistes puisse devenir un dictateur, ou que l’on condamne tel autre, fautif, à une amputation de la jambe). Baxter sacrifie ici au spectaculaire de manière gratuite ; il semble que son seul but soit de préparer le schisme quasi-religieux qui va voir les habitants du vaisseau s’affronter et décider de se séparer pour choisir différents itinéraires. Même si, comme le dit l’adage, « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir », on doute fortement à la fin d’Arche que Baxter soit réellement convaincu du bien-fondé de ce dicton.
Saga dense (chaque roman pèses ses sept cents pages en poche) dans laquelle les motifs religieux sont transparents — le déluge, l’arche de Noé, bien évidemment, mais aussi la figure messianique revendiquée par Lammockson, ou encore le schisme à bord de l’arche —, Déluge/Arche est donc marqué par la volonté de Baxter de rester au plus près de l’humain. A ce titre, on signalera que les protagonistes principaux sont essentiellement féminins, pied de nez à la tradition plutôt virile des récits-catastrophes, courant dans lequel ce diptyque s’inscrit bien évidemment. Sans prétendre être aussi hard science que certains autres livres de l’auteur, cette série articule finalement ses deux romans autour d’une thématique centrale : celle de la transmission du savoir d’une génération à l’autre, et des difficultés qui vont avec, notamment au moment où se produit un événement planétaire qui va provoquer une rupture du monde tel que nous le connaissons.
Au final, Déluge/Arche ne se révèle sans doute pas l’œuvre la plus aboutie de Baxter (la crédibilité scientifique est parfois traitée avec légèreté, et l’évolution psychologique des colons d’Arche semble peu vraisemblable), mais reste une lecture intéressante et donc recommandée.