Argent animal constitue la première traduction française d’un ouvrage de Michael Cisco. Il ne s’agit là que de l’un des treize livres publiés entre 1999 et 2018 par cet auteur étasunien. Hautement considéré par China Miéville ainsi que par Jeff VanderMeer, Michael Cisco a par ailleurs été récompensé par des prix tels que l’International Horror Guild Award ou bien encore le Best Weird Novel. Soient autant de patronages et de prix à même de susciter une curiosité certaine quant à cet Argent animal, qui plus est traduit par Claro.
S’inscrivant en un futur que l’on imagine proche, le roman débute dans une ville imaginaire d’Amérique latine, San Toribio. C’est là qu’ont été conviés à une conférence, entre autres spécialistes, les cinq économistes constituant les protagonistes initiaux d’Argent animal. Réunissant des femmes et des hommes de nationalités diverses, le quintette appartient à l’Institut d’Économie International. Tenant autant du cercle universitaire que de la secte, cette singulière élite participe du monde radicalement inégalitaire campé par le livre. Aux côtés de structures telles que l’IEI ou l’Organisation Internationale pour la Normalisation, les gouvernements pareillement inféodés à une « économie mondiale […] devenue incontrôlable » s’emploient à protéger la minorité en tirant profit. Mais les jours de cet ordre inique semblent désormais comptés. Victimes d’une bizarre série d’agressions et d’accidents les empêchant de prendre part à la conférence, les cinq économistes de l’IEI conçoivent durant leur convalescence une forme inédite de monnaie appelée « argent animal ». Forte d’une puissance insolite, à la fois mystique et organique, la devise nouvelle semble agir par une vie propre. Échappant au contrôle de celles et ceux qui l’ont imaginé, l’argent animal va dès lors se répandre à travers l’espace géoéconomique, en sapant peu à peu les fondements. Les cinq économistes, entrés en dissidence après leur exclusion de l’IEI, accompagneront bientôt cette étrange révolution. Celle-ci sera encore rejointe par une certaine Assiyeh, autre protagoniste d’Argent animal. Tenant autant de l’aventurière que de la scientifique et de la sorcière, la femme jouera quelque rôle dans cette révolution fiduciaire et magique…
S’efforçant de faire éprouver à ses lecteurs et lectrices le trouble provoqué par cet extraordinaire basculement, Michael Cisco déploie une écriture en constante métamorphose. D’une linéarité plus qu’aléatoire, oscillant constamment entre science-fiction spéculative et fantastique horrifique, poésie surréaliste et considérations ironico-théoriques, Argent animal dessine une entreprise littéraire hors-normes. En réalité plus sensorielle que narrative, l’expérience proposée par Michael Cisco est certainement susceptible de fasciner une partie de ses lecteurs et lectrices. L’on a vu que l’auteur avait des admirateurs, et non des moindres. Mais pareille radicalité – se déployant qui plus est sur 700 pages – risque aussi d’exclure. Tel fut notamment le cas de l’auteur de la présente critique, demeuré tout à fait extérieur au trip qu’est Argent animal…