À peine un an après la parution de son dernier « vrai » roman (Grande Jonction, cf. critique in Bifrost n°44 et l'interview dans notre n°45), Maurice Dantec revient embêter journalistes et lecteur avec Artefact, épais recueil qui rassemble trois nouvelles manifestement liées entre elles par une volonté qui nous échappe. Délaissant quelque peu ses expérimentations littéraro-philosophiques, l'auteur maudit fait un joli retour aux sources en utilisant toutes les ficelles du thriller pour arriver à ses fins, la S-F en plus. Car oui, on le sait, Maurice aime la S-F. Pour preuve, Grande Jonction est, de son propre aveu, post-apocalyptique. Et la première nouvelle d'Artefact, joliment titrée « Vers le nord du ciel », s'en approche par bien des aspects tout en empruntant pas mal d'idées à la science-fiction la plus classique (voire la plus banale).
Le lecteur entre à l'intérieur de la tête d'un agent cosmique, sorte d'extraterrestre envoyé par ses pairs observer la race humaine depuis la nuit des temps (amusant, d'ailleurs, de savoir que l'extraterrestre incarné en humain — une sorte d'humain augmenté — envoie ses rapports en utilisant un réseau sub-photonique avec relais sur Titan ; de la S-F, on vous dit). Et voilà notre ET plutôt sympathique présent dans le World Trade Center un certain 11 septembre au matin. Pas de chance, même si tout est écrit. Une fois les deux avions intégrés aux deux tours, l'extraterrestre en profite pour sauver une petite fille (tout le recueil est pourri de symboles liés à l'innocence), permettant à Maurice de faire ce qu'il fait très bien : écrire vite, écrire palpitant, écrire passionnant. Le sauvetage est un voyage à lui seul, le suspense est efficace et, malgré les partis pris stylistiques répétitifs extrêmement énervants, Maurice maîtrise son sujet. Mais l'Etat veille, et avec lui ses hommes en noir et ses agences paragouvernementales bien décidées à repérer l'extraterrestre et à savoir ce qu'il veut… Nouvelle fuite, donc, dans le Grand Nord Canadien pour un final hélas prévisible (car vu et revu cent fois en S-F), mais pas si désagréable. Bref, un voyage qui vaut largement le détour.
Second texte du recueil, « Artefact » se veut centre et signification de la notion d'écriture. Tissu de philosophie hermétique (sauf pour les jeunes étudiants en philo pas encore revenus de tout et les fans de base) sur l'acte d'écrire, le texte ne manque certes pas d'intérêt, mais sa nature même l'éloigne des deux autres (d'où la légitime question : qu'est-ce qu'il fout là ?). Ceci étant, l'alibi narratif est un petit plaisir pervers à lui seul : amnésique, un homme se réveille dans ce qui semble être un hôtel en Italie. Une machine à écrire lui tombe rapidement entre les mains. Une machine à écrire qui… écrit toute seule ce que vit l'homme… Qui voit s'écrire son quotidien à mesure qu'il le vit… Et qu'il se décide à décrire tout en lisant au matin ce qu'a écrit la machine à écrire. Qu'il écrivait, quoi. Drôle, non ? D'autant que pris au piège de ce cercle assez troublant, l'esprit part en vrille (Dantec est super fort pour partir en vrille) très vite et navigue sur des eaux encore plus troubles.
Troisième et dernier récit, « Le Prince de ce monde » est symptomatique du Dantec polémique. Plutôt provoc, populiste et profondément américain (avec cette obsession de la justice personnelle), Maurice se met en scène lui-même en diable (enfin, son frère, plutôt) vengeur, massacrant par le menu (avec moult détails de tortures sophistiquées) journalistes, racistes et pourritures en tout genre, tout en proposant la vision en léger différé de ses exploits sur un site Internet. Horreur sans nom que la moitié de la planète se fait un plaisir (tout en s'en offusquant, hein, on est entre gens biens) de regarder, avant de succomber aux virus mortels disséminés par ce monstre super énervé. Toutefois, le fond du problème est ailleurs. En posant la question de la valeur intrinsèque de la justice (humaine ou divine), Dantec nous met mal à l'aise et face à nos propres contradictions. Un exercice plutôt sain, somme toute. Et si cette nouvelle se caractérise par une extrême violence, elle se termine en texte moraliste… Innocence, enfant, lumière, pêché, tout ça. Bref, comment se racheter aux yeux du monde et aux yeux de Dieu quand on a subit l'horreur et qu'on la distribue à son tour ?
Au final, Artefact ne constitue pas vraiment une rupture avec l'œuvre de Maurice Dantec, plutôt un retour aux sources, doublé d'une expérimentation formelle qui peut agacer. Mais au-delà du nom même de Dantec, propre à faire hurler tout le monde dès qu'on le prononce, force est de constater que ce dernier livre n'a rien de formidable. Pas mauvais non plus, juste moyen. Attendons la suite.