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Les critiques de Bifrost

Ascension

Martin MacINNES
ACTES SUD
400pp - 24,00 €

Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117

Futur très proche. Leigh, une biologiste marine originaire des Pays-Bas, part en mis­sion pour étudier une fosse océanique qui semble bien plus profonde que tout ce qu’on connaissait jusque-là. Sur site, elle et ses partenaires découvrent un « trou » d’une pro­fondeur bien supérieure à ce qu’ils pouvaient seulement imaginer. Sujets à d’étranges phénomènes liés à l’origine de la vie, ils comprennent aussi que ce qu’ils étudient n’est qu’un exemplaire parmi plusieurs compara­bles existant sur Terre.

Simultanément à leur expédition vite inter­rompue, on apprend, en fond (car tout est en fond dans ce roman, sauf Leigh et ses pensées), qu’un nouveau mode de propulsion spatiale a été mis au point qui permettrait d’aller des dizaines de fois plus vite que les engins spatiaux actuels, ouvrant ainsi la voie à des voyages bien plus lointains.

Par interconnaissance, Leigh intègre le programme spatial, programme mené dans le secret et confronté à une certaine hos­tilité dans un monde où la dé­gradation environnementale pro­duit, bien sûr, ses effets. Après un long entraînement, Leigh part, vers l’infini et au-delà, et…

Quelle purge ! Raconté com­me ça, on se dit que ça pourrait être intéressant, mystérieux. Sauf que non. C’est très long, ennuyeux en plus d’être souvent pompeux.

Leigh est une femme à l’enfance difficile, entre un père violent et une mère absente perdue dans des recherches mathématiques qui la coupent largement du monde réel. Leigh a aussi une sœur cadette, Héléna, que tous prennent pour son aînée tant elle est plus responsable qu’elle. Ce petit groupe, présent sans cesse à l’esprit de Leigh, ajouté à quelques rares autres dans le réel, forment la totalité des acteurs d’un récit à la limite du solipsisme.

Durant quatre cents pages, le lecteur voit le monde à travers les yeux de Leigh, une narratrice peu fiable qui lance une conversation et n’en présente les enjeux que bien après les protagonistes et le début, qui plonge le lecteur dans une situation nouvelle et se souvient seulement après qu’il aurait fallu l’introduire. De fait, la lecture est heurtée et peu agréable. Qu’en est-il, du reste ?

Narration qui amène à relire les pages précédentes, dialogues internes constants de Leigh qui se souvient de son père et s’interroge, de sa sœur enfant et s’interroge, de sa mère avant et maintenant — alors qu’elle vit une dégénérescence cognitive liée à l’âge — et s’interroge, absence du monde concret au-delà des espaces limités dans lesquels évolue Leigh (bateau, base, vaisseau) ; rien ne semble lié au-delà d’une analogie guère convaincante entre la perte cognitive de la mère qui vieillit et celle que subissent les (trois) astronautes en route pour le nuage d’Oort, ou alors tout est lié par des correspondances capillotractées sur la manière dont la vie retourne vers la vie dans une forme d’Ouroboros éternel. Et puis il y a des algues, antédiluviennes, nos ancêtres, qui accompagnent les voyageurs vers les confins du Système solaire, un système de propulsion qu’on ne comprendra jamais mais qui semble aussi scientifique que le phlogiston, Leigh qui pense à sa mère et se dispute avec sa sœur, la cheffe de mission dont la fille est enceinte et qu’elle ne peut pas voir, des approximations scientifiques grossières, etc.

Par son obscurité récurrente, Ascension fait penser au Autorité de Jeff Vandermeer, à cette différence près que Vander­meer est un auteur de weird expert et qu’il sait ficeler son histoire quand on a fondamentalement ici un faux auteur SF qui s’encanaille et déguise son roman de blanche — papa, maman et moi — à l’aide de tropes SF mal digérés au milieu d’illuminations « philosophi­ques » extraordinairement pompeuses.

 

 

 

Éric JENTILE

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