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Les critiques de Bifrost

Atlas de l'Enfer

Nathan BALLINGRUD
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
288pp - 22,00 €

Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117

Lecteur, vous qui entrouvrez cet Atlas de l’Enfer, oubliez tout espoir. Nathan Ballingrud n’est en effet pas du genre à distiller l’angoisse. Bien au contraire, il dévoile dans toute son horreur le caractère méphitique et inhumain de l’Enfer, se dépouillant des artifices du suspense pour nous faire ap­préhender ses manifestations les plus cauchemardesques. Sous la plume de l’auteur, cet espace toxique et maudit devient une réalité aussi tangible que sinistre. Et s’incarne sous nos yeux, déroulant ses paysages apocalyptiques d’où surgissent des abominations qui viennent contredire l’humour ma­cabre du proverbe détourné : là où il y a la Géhenne, il n’y a pas de plaisir.

En six textes, Nathan Ballingrud nous im­merge sans coup férir dans un monde marqué par une porosité des frontières que n’auraient pas désavouées Mike Mignola, d’ailleurs crédité au début du recueil, ou Jérôme Bosch. Sataniste jouant à l’apprenti sorcier, flibustier en proie à la déception amoureuse, libraire occultiste, adepte d’un culte impie, barman se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment, ou goules friandes de compétitions festives, tous se côtoient ou se croisent à l’interface de l’Enfer et de notre monde prosaïque, nourrissant les terreurs nocturnes suscitées par l’ésotérisme et le surnaturel. Difficile d’établir un classement entre les différents textes, tant ils oscillent entre le bon et le très bon. « L’Atlas de l’Enfer », qui donne son nom au présent recueil, constitue une entrée en matière prometteuse. Immergé au cœur du Bayou, on suit un libraire et l’homme de main d’un chef de la pègre à la recherche d’un livre, le fameux Atlas du titre, dérobé par une petite frappe bien mal inspirée. « Le Diaboliste » prend racines dans un patelin de l’Amérique profonde. Professeur fan d’occultisme, Timothy Benn vient d’y mourir, laissant en héritage à sa fille unique Allison une créature de l’Enfer invoquée par erreur. Pas de quoi améliorer sa réputation lunatique auprès de ses ca­marades. D’ailleurs, la créature s’empresse de lui prouver tout son amour en donnant substance au « Mon nom est Légion » de l’Evangile selon saint Marc. Après ce texte, « Crâneball » fait l’effet d’une pochade maca­bre, amusante et glaçante. Fort heureusement, on renoue avec l’horreur en découvrant « La Gueule », où l’on s’aventure dans la ville creuse, quartier frappé par une catastrophe métaphysique effroyable. Les lieux sont désormais abandonnés aux Chirurgiens, créatures infernales modelant les tissus des êtres vivants pour créer des artefacts à la beauté radicalement étrangère à notre monde. Difficile de ne pas penser aux stalkers des frères Strougatski en parcourant cette zone dont la configuration échappe à la raison. Avec « La Crasse », on atteint sans doute l’un des points d’orgue du recueil — et on comprend que le texte ait été adapté en film, tant le potentiel visuel, l’intrigue paranoïaque et angoissante nous secouent littéralement, au point d’en sursauter au moindre bruit pendant sa lecture. Une grande réussite, à peine éclipsée par le dernier texte qui boucle le recueil tout en refermant le cycle ouvert par « L’Atlas de l’Enfer ». « Le Billot du boucher », du nom du navire pirate à bord duquel em­barque Martin Dunwood, jeune adepte de la Société des Candélabres, ne lésine pas en effet sur l’horreur. Le bougre doit y honorer un rendez-vous à un festin en Enfer. Il espère en fait profiter de l’occasion pour fuir avec la fille du dirigeant d’un dangereux culte cannibale. Inutile de dire qu’il n’est pas le seul à tenir un agenda caché…

Grand recueil d’horreur, Atlas de l’Enfer apparaît donc com­me un incontournable pour l’a­mateur de lectures déviantes. Espérons que les difficultés rencontrées par Les Moutons Électriques ne remisent pas ce fruit amer du fantastique horrifique dans les poubelles éditoriales, nous faisant oublier un auteur dont le précédent recueil a reçu le Shirley Jackson Award. En attendant, ruez-vous sur le présent ouvrage car, comme chacun sait, l’Enfer est pavé de bonnes intentions.

 

 

 

Laurent LELEU

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