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Les critiques de Bifrost

Au bout du labyrinthe

Au bout du labyrinthe

Philip K. DICK
ROBERT LAFFONT
264pp -

Bifrost n° 18

Critique parue en mai 2000 dans Bifrost n° 18

Ben Tallchief s'ennuie. Son boulot de contrôleur des stocks le barbe. Il décide donc d'envoyer par radio une prière à l'Intercesseur et il se voit exaucé. Il est transféré dans une petite colonie sur la planète Delmak-O. Pour s'y rendre, un seul moyen : le fuseur, petit vaisseau à deux places ne pouvant effectuer qu'un aller et pas de retour. C'est aussi ce moyen de transport que vont prendre Seth et Mary Morley couple qui végète depuis huit ans dans le kibboutz Thecel Pharès, pour se rendre dans la colonie. Arrivés sur Delmak-O, les trois personnages vont être présentés à Bert Kostler le gardien, à Maggie Walsh la théologienne, à Ignatz Thugg le thermoplasticien, etc… Tallchief, le premier à atterrir, va prendre part à une conversation qui va se répéter mot pour mot lorsque le couple arrivera. Mais le plus bizarre se produira avec la perte des communications, la découverte d'un mystérieux édifice et la mort de… non, je ne le dirai pas.

Une fois de plus le titre original du roman a été changé, puisque Dick avait d'abord pensé à The Name of the Game Is Death (« La mort est la règle du jeu »). Rédigé en 1968 et paru en 1970 (1972 en France), il portera finalement le titre, choisi par l'éditeur, A Maze of Death (« Un labyrinthe de mort »).

Au Bout du labyrinthe marque d'une certaine manière la fin d'un cycle commencé avec L'Œil dans le ciel. Là où ce dernier introduisait des thèmes qui allaient devenir récurrents dans l'oeuvre de Dick, le roman qui nous intéresse signe l'arrêt de mort, en même temps que le paroxysme, de l'utilisation de ficelles propres à l'auteur. Comme dans Ubik et L'Œil dans le ciel, on retrouve un groupe d'individus confronté à un dérèglement de la réalité Or, ici, Dick tente d'aller au bout de ce système en une sorte de quitte ou double, de « coup de poker » (l'expression est de l'auteur) mais sans véritablement apporter du neuf. Malgré tout le roman reste fascinant par cette capacité, cette facilité à jongler avec les mêmes thèmes sans que le texte puisse apparaître un instant comme le calque d'un livre antérieur. Le huis clos permet le travail le plus passionnant jamais réalisé par Dick sur l'interaction entre personnages ; la tension est extrêmement bien rendue, notamment par la mise en scène des meurtres. Le renversement final, bien que paraissant facile pour un lecteur habitué à l'œuvre du maître, éclaire à rebours tout le contenu du roman. L'utilisation d'une religion échafaudée de toute pièce, d'un livre sacré et de la multifocalisation marquent clairement la fin d'un certain système dickien qui fera dire à l'auteur : « Après Au Bout du labyrinthe, il ne pouvait en aucune façon y avoir de nouveau roman fondé sur les mêmes prémices. II fallait faire du neuf. »

Dans son utilisation de clichés propres à Dick, le roman se rapproche de la nouvelle « La Foi de nos pères » publiée dans l'anthologie d'Harlan Ellison Dangereuses Visions. En effet, ces deux textes représentent une limite dans l'œuvre de Dick (« La Foi de nos pères » ressemble même à une autoparodie) qui, lucide, essaiera de se renouveler. Pourtant, à ce stade, l'écriture et les idées sont tellement maîtrisés qu'il est ardu de trouver des défauts à Au Bout du labyrinthe. Tout semble être naturel, facile pour Dick dans la façon dont il agence son récit. Le texte n'est peut-être pas un chef-d'œuvre mais représente l'archétype du roman dickien d'une certaine période. Il reste donc une expérience fascinante pour le lecteur : un livre de Monsieur Dick, quoi !

Laurent QUEYSSI

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