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Les critiques de Bifrost

Au fil du temps

George R.R. MARTIN
ACTUSF
2,99 €

Critique parue en avril 2014 dans Bifrost n° 74

Ce recueil de sept nouvelles, en grande partie inédit en français, constitue le quatrième livre de George R. R. Martin chez ActuSF en attendant Au fil du rêve… L’éditeur continue de nous proposer les nouvelles écrites par Martin à l’aube de sa carrière, dans les années 70 et 80. Ces récits ne sont en rien des fonds de tiroir, on n’en est pas encore là… À cette époque, Martin n’était pas la star qu’il est devenu depuis, et bien que ses nouvelles fussent souvent remarquables, elles n’étaient pas une garantie de succès commercial. Certaines connurent l’heur d’une traduction, d’autres non.

Les quatre nouvelles centrales sont honnêtes, mais en rien transcendantes : on reste assez loin de ce que Martin produisit de meilleur. « Et la mort est son héritage » met en scène l’effet contre-productif de l’assassinat politique (ou de l’attentat) par la génération d’un martyr fasciste. « Week-end en zone de guerre » nous fait assister de l’intérieur à une métamorphose pas moins hideuse que celle de Kafka ; on assiste à la volte-face psychologique du personnage qui, en peu de temps, passe de l’autre côté du cheval. Il est clair, à travers ces deux textes, que les problématiques sociales ou politiques ne sont pas la tasse de thé de Martin : il s’avère bien plus à l’aise et efficace dans des problématiques exclusivement centrées sur l’humain.

« Une affaire périphérique » est un petit space-opera sympathique, mais dont on ne saurait soutenir qu’il a révolutionné le genre ; c’est surtout un jeu triangulaire entre les divers personnages. « Vaisseau de Guerre » est incontestablement la nouvelle la plus anecdotique du recueil, mais on y trouve en germe deux de ses romans : Le Volcryn et Les Voyages de Haviland Tuff.

Martin conte deux fois la même histoire, dans « La Forteresse » et « Assiégés » : la reddition aux Russes, sans combat, en 1808, de la forteresse de Sveaborg défendant Helsinki, et le rôle ambigu joué par les nationalistes finlandais préférant en la circonstance l’ennemi russe à l’allié contraint suédois. La première version est un texte historique que Martin rendit comme travail de fin d’année en école de journalisme. « Assiégés » raconte exactement les mêmes événements, mais sous la forme d’un récit de science-fiction. Le rapprochement des deux textes crée une synergie remarquable et procure une excellente occasion de montrer ce qu’est la SF.

« Variantes douteuses » est le plus long et le meilleur texte du volume, un récit nourri de la passion de l’auteur pour les échecs, une histoire qui, avec « Assiégés », justifie le titre du recueil (et sans doute son achat). À l’origine de l’intrigue, une partie d’échecs en tournoi où des outsiders faillirent bien créer l’exploit. Un joueur bon mais timoré se retrouve en position de gagner face à un adversaire réputé plus fort, mais il bat en retraite au lieu de jouer un coup évident pour pousser son avantage, puis finit par perdre. Pour ses équipiers, il est clair « qu’il n’a pas eu les couilles » de gagner. Il va dès lors traîner sa défaite comme un boulet faisant de lui un homme aigri et revanchard… La SF va bien sûr s’inviter dans le texte, et si la fin de la nouvelle est peut-être un brin faible, l’essentiel est bien dans les rapports entre les personnages. Dire que Martin est brillant dans l’exercice relève du pur euphémisme…

Bref, si ce recueil n’est pas le meilleur de George R. R. Martin, la plupart s’en satisferont largement.

Jean-Pierre LION

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