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Les critiques de Bifrost

Au seuil des ténèbres

Au seuil des ténèbres

Kim ANTIEAU, Jay R. BONANSINGA, Poppy Z. BRITE, Ramsey CAMPBELL, Hugh B. CAVE, Douglas CLEGG, Nancy Averill COLLINS, Matthew John COSTELLO, Peter CROWTHER, James S. DORR, Ray GARTON, Rick HAUTALA, Brian HODGE, Barry HOFFMAN, Nancy HOLDER, Jack KETCH
J'AI LU
500pp - 17,50 €

Bifrost n° 30

Critique parue en avril 2003 dans Bifrost n° 30

« Trente histoires d’angoisse et d’effroi », comme le dit le sous titre du présent volume, voilà qui évoque d’emblée une armée de fantômes, vampires, esprits frappeurs et autres morts-vivants. La grande force de l’anthologie de Richard Chizmar est précisément d’aller contre cette idée reçue. Les trente nouvelles publiées dans ce recueil proviennent toutes de la revue américaine Cemetery Dance. Dix-sept d’entre elles ne mettent en scène aucun élément surnaturel. Les treize autres, à quelques exceptions près, ne l’utilisent pas comme argument central. L’angoisse et l’effroi sont suscités par la démence, les corps déchiquetés, les pulsions animales, les instincts parricides et la morbidité humaine.

La terrible banalité de certaines histoires est ici plus effroyable que n’importe quel monstre visqueux et cruel. Car il est dès lors impossible de prendre de la distance, de se réfugier derrière l’idée que « de toute manière, c’est inventé ». Le Mal rampe et s’infiltre chez le voisin, le parent, l’ami, rendant chacun suspect, faisant pénétrer la peur chez soi, alors même que l’on joue avec ses enfants.

« De Grandes espérances » (Kim An-tieau) met en scène une fillette empoisonnant ses sœurs avec  de  la  mort aux  rats,  persuadée d’être affamée à leur profit par ses parents. Dans « Au loup ! » (Rick Hau-tala), un jeune garçon livre une amie à un tueur afin de pouvoir assister, par curiosité, à un meur-tre. « Le Chariot d’urgence » (Nancy Holder) présente un médecin qui s’aperçoit, terrifié, que supplicier des patientes dans le coma lui procure des érections. « La Carabine » (Jack Ketchum) décrit le meurtre d’un fils que sa mère découvre habité par le Mal. « À l’épreuve du feu » (Barry Hoffman) observe des fils assassinant leurs pères, animés par des pulsions animales réveillées par leurs propres géniteurs… Autant d’exemples qui pourraient figurer au registre des faits divers, mais si bien décortiqués qu’ils en deviennent à la fois plus incroyables et plus réels.

Pourquoi de telles nouvelles relèvent-elles alors de l’Imaginaire ?

Parce qu’elles font sans cesse appel à nos propres fantasmes, que l’on découvre réalisés sous nos yeux, et à la peur primale du Mal, qui n’a nul besoin de support pour terrifier. Il est possible de l’imaginer partout, alors que cantonné au domaine d’improbables créatures et de phénomènes surnaturels, il deviendrait localisé, circonscrit et, par conséquent, moins puissant.

Parce qu’elles rendent opaque la frontière entre la pureté et les âmes démoniaques. Le lecteur se trouve donc bien « au seuil des ténèbres », là où les protagonistes oscillent entre normalité et démence, là où le fil qui les relie à l’humanité s’amenuise. Et lorsque l’on suppose ce fil rompu, jamais il n’en est fait explicitement mention. S’ouvre alors le domaine de l’imaginaire… Voilà une excellente anthologie, étrange, dérangeante et nauséabonde à souhait.

Jérôme FAAS

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