Lior Tirosh écrit de la fantasy pour trouver refuge dans un ailleurs moins dur ou du moins loin de la souffrance d’une existence tragique. Un père tyrannique, un frère mort en héros et une mère décédée du cancer après avoir divorcé, il a finalement cédé à l’exil, poussé dehors, à l’extérieur, loin de la Palestine voulue par les pères fondateurs en Afrique. Mais, si l’imagination n’est qu’une illusion et l’évasion qu’un pis-aller fragile face au caractère concret et désenchanté du monde, quelle réalité Lior cherche-t-il à fuir exactement ? Il semble en effet doté d’une faculté singulière et inexplicable, suscitant la convoitise de puissances occultes dont les desseins ne semblent guère animés des meilleures intentions. Un phénomène affectant jusqu’à sa mémoire et ne paraissant pas sans conséquence sur le(s) cheminement(s) historique(s).
Fondé sur un épisode méconnu de l’histoire du sionisme, plus précisément le projet avorté d’implantation d’un État juif sous autorité britannique, entre Kenya et Ouganda, Aucune terre n’est promise nous emmène dans une ligne historique alternative, adoptant le pas de côté cher à l’uchronie et à la science-fiction. Un décalage salutaire, voire un dépaysement salvateur, permettant de reconsidérer notre propre monde et notre histoire avec un autre regard. Un point de vue différent, libéré des rhétoriques partisanes, permettant de prendre la mesure de la duplicité d’une humanité prompte à s’aveugler pour ménager un illusoire confort intellectuel. Mais, peut-être les choses sont-elles un tantinet plus compliquées. Lavie Tidhar s’y entend bien à brouiller les pistes ou flouter les contours d’une réalité consensuelle pour le moins fluctuante, jouant des références à la Kabbale et à la physique quantique pour déployer un faisceau d’univers multiples. L’auteur interroge ainsi sa propre judéité, mettant sur la sellette la fondation d’Israël, cette nation de parias issus de la diaspora qui progressivement a épousé les méthodes de ses oppresseurs, incarnant non plus un idéal mais un coup de force permanent. Qu’importe les intentions ou la pureté du projet initial semble dire l’auteur, le seul invariant commun aux multiples itérations des possibles reste l’injustice, prélude aux désastres présents et à venir. En cela, Aucune terre n’est promise se révèle politique, dans la meilleure acception du terme. Mais le réduire strictement à cet aspect serait négliger les qualités d’un roman subtil et nuancé, traversé par des fulgurances magnifiques et un sentiment d’échec tragique. Un gâchis frappé au coin de la fatalité.
Avec Aucune terre n’est promise, Lavie Tidhar ne prône pas la haine de soi. Bien au contraire, il dresse un constat d’une douloureuse lucidité, à l’adresse de ceux ne parvenant pas à se résoudre à l’inacceptable, mais restant conscient du peu de poids de leur existence face au mouvement inexorable de l’Histoire, telle que les hommes l’écrivent. Bref, un roman indispensable.