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Les critiques de Bifrost

Aurora

Aurora

Kim Stanley ROBINSON
BRAGELONNE
480pp - 25,00 €

Bifrost n° 106

Critique parue en avril 2022 dans Bifrost n° 106

L’humanité a décidé de coloniser les étoiles. Dans ce but, elle a envoyé vers Tau Ceti un vaisseau riche de 2 000 personnes vivant au sein de biomes, compartiments gigantesques reflétant les différents écosystèmes terriens. Arrivé à la cinquième ou sixième génération, le vaisseau approche de sa destination. Devi, qui fait office d’ingénieure en chef, discute avec l’IA régissant le fonctionnement du navire pour négocier l’arrivée sur Aurora, la lune d’une des planètes de Tau Ceti, tandis que l’ordinateur quantique de bord lui permet de gérer les défaillances du système, de plus en plus fréquentes après tant de temps passé dans l’espace. Une fois arrivé à proximité d’Aurora, l’établissement des premiers camps habités sur la lune peut commencer ; toutefois, des personnes meurent de l’exposition à une bactérie ou un virus d’origine inconnue. Dès lors, l’humanité – ou tout au moins les colons, puisque tout contact avec la Terre prend vingt-cinq ans – doit faire un choix : continuer sur Aurora, ou identifier d’autres cibles d’installation parmi les planètes et lunes à proximité. Certaines voix commencent même à évoquer un retour sur Terre, et parmi elles Freya, la fille de Devi…

Dans ce roman, comme à son habitude, KSR utilise ses connaissances pluridisciplinaires afin d’embrasser la problématique du vaisseau-arche dans son ensemble : mécanique spatiale pour les problématiques de trajectoire du vaisseau (au cœur de l’histoire, notamment dans sa deuxième partie, et pour les phases d’accélération et de décélération), sociologie pour la gestion de la population des biomes, biologie et chimie pour les dispositifs à mettre en place en vue de la conservation de la flore durant tout le voyage, informatique pour doter le vaisseau de capacités de calcul quantique lui permettant de prendre les décisions de manière urgente si nécessaire… Pas un aspect n’est occulté ; on pourrait imaginer que cela se traduise par un ouvrage d’une taille démesurée, tant les problèmes à régler sont nombreux, mais Robinson a évacué cette difficulté avec subtilité et humour : les humains étant assez occupés à autre chose, c’est l’IA du vaisseau qui raconte les événements ! Et comme celle-ci ne sait pas initialement choisir ce qui est important et ce qui ne l’est pas, Devi la guide. D’où quelques échanges savoureux tandis que l’IA tente d’utiliser ses algorithmes pour donner à lire quelque chose qui ressemble à un roman, et pas à un devoir appliqué, tout en se posant régulièrement la question de savoir comment au mieux raconter une histoire, avec l’utilisation de ces analogies et métaphores au cœur de l’expression humaine si difficiles à appréhender pour elle. Peu à peu, l’IA va apprendre à penser comme un humain, à faire de l’humour, voir commencer à ressentir des émotions comme la peur… ou l’amour. Un timide éveil à la conscience qui s’avère une merveille de finesse, et un contrechamp bienvenu au côté hard science et à la relative sécheresse de la caractérisation des personnages de KSR (mais rappelez-vous, ce n’est pas lui qui raconte le tout, c’est une IA).

On ne terminera pas cette chronique sans évoquer la surprenante deuxième partie du roman (attention spoiler), puisque les colons choisissent en majorité le retour sur Terre. Même si certains restent dans les étoiles, Robinson – ou plutôt le vaisseau – décide de les ignorer et de se concentrer sur la manière de ramener les autres sur Terre, terminant sur un constat amer d’échec de la colonisation spatiale – étonnant, pour l’auteur de la « Trilogie martienne ».

Par l’ampleur de ses considérations scientifiques et philosophiques, que l’auteur vulgarise du mieux possible, Aurora, dont les multiples rebondissements et révélations dynamisent le rythme de narration assez lent (une constante chez KSR), se révèle ainsi un excellent roman, sans doute l’un des plus aboutis de l’auteur, qui le hisse à la hauteur d’un Clarke ou d’un Asimov.

Bruno PARA

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