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Les critiques de Bifrost

Critique parue en janvier 2024 dans Bifrost n° 113

Ses admirateurs le savent depuis longtemps : Francis Berthelot est l’un des grands stylistes de l’Imaginaire français. Il nous revient ici avec une écriture légère et vibrante, un petit bonheur de lecture. Allez-y en confiance, ne serait-ce que pour le simple plaisir du verbe : c’est de la bonne came.

Sous-titré Fugue en ZUT mineur, Auto-Uchronia met en scène un rendez-vous man­- qué (ou pas ?) avec la vie. Le jeune Francis Berthelot, digne rejeton d’une lignée de scientifiques, suit tristement une tra­- jectoire haute censée le mener fort logiquement d’École Poly­technique en CNRS. Mais une occasion se présente de se re­beller et d’envisager plutôt une carrière d’écrivain, quitte à dé­buter comme simple commis chez un beau libraire anarchisant.

C’est bien sûr le point de di­vergence de cette uchronie, si l’on veut la considérer ainsi. La première partie de ce court ouvrage est présentée comme une autobiographie, de la naissance de Francis au grand Zut. La construction en est aussi subtile que l’ambiance. La famille est vraiment aimante, mais un rien trop sûre de ses valeurs pour être vraiment attentive. Le grand frère vraiment complice, mais un rien trop brillant pour être vraiment facile à vivre. Les amies délicieuses, mais un rien trop parfaites. Des gens bien, tous. Un deuxième fil dévide avec la même sensibilité et la même pudeur, quoique plus hardie, l’éducation sexuelle d’un adolescent qui, dans ces années pré-soixante-huitardes où la majorité n’est encore qu’à 21 ans, découvre non seulement son homosexualité, mais aussi la soumission masochiste. Le troisième, enfin, concerne le système scolaire de ces mêmes années 1950 et 60, avec en prime quelques-unes des pages les plus remarquables que j’ai lues sur la vie en « taupe », dans les classes préparatoires scientifiques des grands lycées (« Quelle est la différence entre un tapin et un taupin ? La même qu’entre un bolet et un boulet. »).

La plume se fait paradoxalement plus clinique et moins incisive dans la seconde partie. À mesure que s’invente la liaison torride entre l’ex-étudiant et son nouveau mentor, on parcourt une galerie de portraits du milieu gay underground parisien des sixties, du gigolo émouvant en pleine ascension sociale au coiffeur aux allures de diva en passant par l’imprimeur et pourvoyeur de faux papiers…

Un beau livre, en somme, mais inclassa­ble. Clairement pas de science-fiction, en tout cas. Une « transfiction », selon le concept qu’avait développé le Berthelot narratologue dans sa Bibliothèque de l’Entre-mon­des (Folio « SF »)? Une (auto-) uchronie, donc ? Ou une « autofiction », en mode Portrait de l’artiste en jeune singe ? La couverture de Stéphane Perger propose « Non-fiction ? », point d’interrogation compris. Plus simplement, peut-être, un pied-de-nez littéraire de gamin septuagénaire, tel qu’en lui-même enfin l’éternité le chan­ge : « un poète, surtout homo, ne devient jamais adulte » !

Éric PICHOLLE

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