Maxime BARRIERE, Marcel BERTRAND, André-Charles NAUGÉ, Jean-François MICHEL
L'ARBRE VENGEUR
128pp - 10,00 €
Critique parue en juillet 2013 dans Bifrost n° 71
Pour leur centième livre, les éditions de l’Arbre vengeur ont décidé de donner carte blanche à Didier Barrière. Qui ça, me direz-vous ? Didier Barrière, un correcteur d’imprimerie également responsable d’une petite bibliothèque historique à Paris, une personne, surtout, dotée d’une conception très personnelle du fantastique, qu’il tente de nous faire appréhender par le biais d’une longue préface argumentée. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas le fantastique peuplé de monstres ou de revenants, celui émanant d’événements qu’on ne pourra jamais observer. Pour lui, un fantastique efficace interagit avec la vie quotidienne ; c’est pour cela qu’il cherche, dans sa propre existence, des souvenirs qui auraient pu faire basculer sa vie dans le fantastique… Cette quête a également présidé au choix des présents textes, signés de trois auteurs inconnus aux biographies, thématiques et styles forts variés. Dans « Monsieur Meidart et les voisins du dessous », de Marcel Bertrand, le fantastique n’est pas avéré, simplement suggéré ; cette histoire d’habitant d’un immeuble qui sombre peu à peu dans la démence du fait des bruits de ses voisins se caractérise par un style très nerveux, qui élide fréquemment sujet ou verbe dans la phrase. Dans « Le Véritable passage du Nord-Ouest », d’André-Charles Naugé, un homme passionné de cartes maritimes se voit offrir l’occasion de découvrir un lieu imaginaire où tous ses rêves d’exploration deviennent réalité. Enfin, dans « La Bouche sans langue », signé Jean-François Michel, une bouche sort de son propriétaire, et se met à engloutir les passants, grandissant au fur et à mesure de ses ingestions ; un texte surréaliste marqué par un humour de tous les instants. Au final, ces trois textes réussissent à illustrer le propos de l’anthologiste : « Je ne peux me défaire, en effet, du sentiment qu’il y aurait une sorte de rédemption dans l’acte de construire, à partir du réel le plus quotidien et le plus lourd, un bon récit fantastique, où tous les ingrédients seraient bien dosés, fondus dans une progression savante, avec de multiples interruptions calculées pour soutenir l’effort du lecteur, vers une terreur sublime, ou, quelquefois peut-être, vers une joie dévastatrice, ou vers une émotion forte d’une autre nature. » Ajoutez à cela un intérêt certain pour le livre en tant qu’objet total, auto-suffisant, et vous comprendrez la conception de cette anthologie, qui propose sur sa fin des variantes aux textes recueillis ici. Et, s’il vous en fallait encore, une dernière précision : si vous êtes un tant soit peu observateur, vous aurez noté plusieurs indices. Dans la préface, le mot « éditeur » (Barrière) est indiqué entre guillemets ; la préface porte essentiellement sur des aspects autobiographiques de Didier Barrière ; les auteurs, en plus d’être inconnus, se caractérisent par des noms essentiellement composés de prénoms (Marcel, Bertrand, André-Charles, Jean-François, Michel, seul Naugé échappe à la règle). Tout cela devrait vous mettre la puce à l’oreille : et si tout cela n’était que faux-semblants, et si cette anthologie n’avait d’anthologie que le nom, les textes étant tous signés de la même plume ? La boucle serait ainsi bouclée, le livre l’objet total voulu par Barrière, et les nouvelles des développements de souvenirs réels de Didier Barrière ? Un livre assurément étonnant, très personnel, et, à ce titre, extrêmement intéressant.