Dans sa critique du premier tome de l’intégrale du « cycle de Lanmeur », Pierre-Paul Durastanti qualifiait l’auteur dudit cycle de « l’un des secrets les mieux gardés de la SF française. » (in Bifrost n° 65) Quatre ans plus tard, espérons que les choses ont changé pour Christian Léourier. Ce printemps 2016 voit la parution d’un roman de littérature blanche, Dur silence de la neige, chez les Moutons électriques, et d’un space opera, Sitrinjêta, aux éditions Critic. Un retour aux affaires bienvenu précédé, voici quelques mois, par la publication du quatrième volume de l’intégrale de « Lanmeur » – un quatrième volume entièrement inédit.
Le « cycle de Lanmeur », ce sont neuf romans dont certaines thématiques ne sont pas sans évoquer le « cycle de l’Ekumen » d’Ursula K. Le Guin – mais Léourier a sa propre voix. Situés dans un lointain futur indéterminé, ils s’articulent autour de la planète Lanmeur et de sa politique de Rassemblement : réunir au sein d’une même communauté les différentes humanités éparpillées sur différents mondes. Une idéologie du Rassemblement qui n’est peut-être pas aussi pure et désintéressée que Lanmeur voudrait bien le faire croire…
« Il entrait dans ma destinée de courir les chemins du monde, afin de rassembler ce qui était dispersé. »
La Terre de Promesse apportant une forme de dénouement au cycle, Christian Léourier s’est tourné vers le passé de la planète Lanmeur, afin de s’interroger sur ce qui a fondé sa politique de réunion panhumaine. D’où le titre du quatrième opus de cette intégrale, Aux Origines du Rassemblement, qui contient deux romans, Le Procès de Gwidlon et Le Testament d’Erwan, enchâssés au sein d’une nouvelle en trois parties, « La Mission de Mered Gadelinne ». Une structure particulière, qui se retrouve dans Le Procès de Gwidlon : ce premier roman alterne deux lignes narratives, l’une centrée sur le maître-scribe Gwidlon, dans l’attente de son jugement pour hérésie, l’autre sur les fragments de textes retraçant l’épopée de Thor. Rien à voir avec le dieu scandinave, il s’agit là d’un homme, exilé puis conquérant, qui, dans les temps anciens, a rassemblé le continent unique de Lanmeur sous une même autorité. Mais son message a été dévoyé, et Gwidlon espère rétablir la vérité au cours de son procès. Le roman touche à l’essence du mythe en présentant les différents textes fondateurs, parfois contradictoires, jamais entièrement fiables. L’occasion de questionner le rapport entre la foi et l’interprétation des écritures sacrées, sur fond d’épopée. Le Testament d’Erwan, sous une forme romanesque plus classique, raconte le parcours d’un autre scribe, des décennies après le procès de Gwidlon, afin de poursuivre l’œuvre unificatrice de Thor. Sur le continent unique de Lanmeur désormais règnent trois souveraines, et les luttes intestines entre patriciens, scribes et clercs minent la cohésion. Établir l’unité, voilà la mission d’Erwan. Guerrier malgré lui, le scribe va user tantôt de la force, tantôt de la rouerie, pour arriver à ses fins, qu’importent les moyens.
En définitive plus proche de la fantasy ou du roman historique que de la SF, Aux Origines du Rassemblement pourra surprendre, tant Léourier y déjoue les attentes. Bien que par endroit aride, voire longuet, Le Procès de Gwidlon est sans conteste le plus ambitieux des deux romans de l’intégrale (voire du cycle dans son entièreté), où notre auteur fait montre de toute sa maestria stylistique. Brillant. Le Testament d’Erwan, plus simple dans la forme, mais nullement simpliste dans le fond, semble pâlir en comparaison mais, plein de bruit et de fureur, emporte l’adhésion en fin de compte. À l’instar des précédents romans du cycle, Christian Léourier s’interroge avec intelligence sur ce qui fait les fondements d’une société. Une nouvelle pierre au « cycle de Lanmeur », monument de la SF francophone, pas moins indispensable que les précédentes.