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Les critiques de Bifrost

Critique parue en janvier 2024 dans Bifrost n° 113

Dans un avenir troublé, marqué par les bouleversements climati­ques, le chaos géopolitique, la pénurie systémique et le recul de l’État-providence, deux familles décident de quitter Paris pour rallier le Sud, plus précisément le village de Massat, situé dans une vallée retirée des Pyrénées. Un temps, ils espèrent que l’herbe y sera plus verte, escomptant un retour à la nature bienveil­lant. Hélas, le voyage se passe mal. Les parents d’une des deux familles disparaissent pendant une échauffourée et leur fille prénommée Calme se retrouve orpheline, à la charge des survivants. Entre traumatisme et in­compréhension, affection et culpabilité, des liens se tissent entre elle et sa famille adoptive, en particulier avec son demi-frère Elie. Mais l’urgence prévaut et il faut reprendre la route. Après une étape à Marseille, où ils composent difficilement avec la mafia dirigeant la ville, ils finis­sent par arriver à Massat, où l’in­tégration se révèle plus difficile que prévue, autosuffisance oblige.

Avec ce premier roman, Julia Colin propose un récit tout en lenteur où, peu à peu, le spectacle de l’Effondrement cède la place à une intrigue resserrée autour de trois personnages dont les paroles et les actes font et défont l’ordinaire d’une petite communauté. Entre anticipation légère et fantastique discret, Avant la forêt met ainsi en lumière l’éternelle interaction entre nature et culture, faisant reposer le fardeau du changement sur un trio adolescent. On accompagne d’abord Elie et Calme durant leur fuite, dé­couvrant l’immense faculté d’empathie de l’un et le traumatisme profond de l’autre. En arrivant à Massat, le jeune homme finit par épouser la cause de Saule, la jeune cheffe de la Milice, chargée de veiller au respect de l’économie de subsistance qui s’est établie au village en l’absence de la protection de l’État. Mais il ne peut se détacher de Calme, en dépit de l’étrangeté de la jeune femme. Ladite jeune femme est en effet irrésistiblement attirée par la forêt, au point de succomber à une sorte de mimétisme symbiotique et de développer des pouvoirs magiques. Sortilège ou folie ? Le fait ranime les peurs superstitieuses des villageois et fait craindre à Elie et ses parents un procès en sorcellerie.

Sur le fil d’une utopie rustique ambiguë et d’une résurgence panthéiste, Avant la forêt interroge aussi notre capacité à nous adapter, à renoncer au confort et à la liberté contre un peu plus de sécurité. Face au chaos, que faire ? Accepter la coercition d’une entraide limitée à la communauté étroite du voisinage ? Ou se fondre dans une nature bien loin d’être généreuse ? La ques­tion est posée aux personnages du roman avec d’autant plus d’acuité qu’elle réveille des échos familiers dans notre es­prit, a fortiori si l’on est un lecteur de science-fiction averti. En ce dernier cas, difficile de ne pas comparer avec d’autres œuvres, comme par exemple la « Trilogie de Mino » de Gert Nygårdshaug.

En dépit de ce léger bémol, Avant la forêt n’en demeure pas moins une tentative intéressante de raccrocher le fantastique aux thématiques de l’écologie. À découvrir.

Laurent LELEU

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