Il fallait s’y attendre ! Après cinq tomes de « Ender » et cinq de la sous-série « L’Ombre », voici maintenant la quasi inévitable préquelle de l’ensemble.
Avant même que « Ender » ne devienne un film, le cycle était déjà devenu une série de comics. Devant le succès de ces adaptations, les gens de chez Marvel manifestèrent l’envie d’en avoir davantage, ainsi que Card l’explique dans sa postface. La préquelle est donc née d’abord comme BD, avant d’être réadaptée en roman par les auteurs. Pour ce faire, il a été décidé d’exploiter le background créé par Card pour la série.
Comment en est-on arrivé à la situation initiale de La Stratégie Ender, une situation à ce point désespérée qu’il faille recourir à un enfant-soldat super-stratège génial comme ultime espoir de survie pour l’humanité ? Qu’il faille fabriquer un tel enfant-soldat de génie, dans une optique qui n’est pas sans évoquer les Khmers Rouges, pour éradiquer les Doryphores (surnom péjoratif donné aux Allemands sous l’occupation) ? Rappelons que dans La Stratégie Ender, des enfants surdoués sont formés à mener des combats spatiaux dans le but d’exterminer lesdits Doryphores sans que leur soit révélé le but final de leur formation, car les adultes ont trop de scrupules pour mener eux même à bien ce génocide.
La Stratégie Ender ne nécessitait pas la création d’un arrière-plan aussi sophistiqué que celui exposé dans la présente préquelle. Certes, quand un auteur de SF élabore un univers, il n’utilise pas forcément d’emblée tout le matériel conçu. Pour écrire le volume originel du cycle, un background assez mince suffisait, mais Card a probablement dû l’enrichir au fur et à mesure de l’écriture des volumes suivants, notamment ceux consacrés à l’Ombre. Au final, Card a élaboré une civilisation interplanétaire qui va se trouver confrontée à la civilisation interstellaire des Doryphores.
Ici, les auteurs ont eu recours à la technique désormais éprouvée consistant à multiplier les lignes narratives pour gonfler le roman. Trois, en l’occurrence.
La première nous présente Victor, un adolescent issu de la société de mineurs indépendants du vaisseau El Cavador qui exploite la ceinture de Kuiper. Utiliser com-me personnages principaux des enfants ou adolescents qui sont encore dans la période formatrice de leur existence est quasiment la marque de fabrique d’O. S. Card. Victor n’échappe pas à la règle.
La seconde met en scène Lem Jukes, héritier peu scrupuleux de la plus grosse compagnie minière du Système solaire.
Sur la dernière, on découvre DeWitt Clinton O’Toole, officier commandant le GOM (groupe d’opération mobile) en plein travail de recrutement pour son unité supranationale super d’élite qui ne semble dépendre de personne. On a bien du mal à croire à l’existence de cette force supranationale qui défendrait les populations contre leurs op-presseurs. Les meilleurs sont les plus chers et ils travaillent (tuent) pour ceux qui ont les moyens de les payer, de les former et de les équiper. Qui ? Les grandes puissances économiques et financières, telle Jukes Ltd, par exemple, aux préoccupations qui semblent assez éloignées de toute ambition caritative. À moins que Card ne considère que la liberté des marchés et la rétribution de la propriété lucrative sont les caractéristiques même de la démocratie, et qu’il faut lutter contre les oppresseurs qui entendent les restreindre. Dès lors, tout est cohérent…
Les deux premières lignes narratives seront, tout au long de ce premier roman, en constante interaction. Les indépendants d’El Cavador découvrent un objet manifestement extraterrestre, qui aborde le système solaire à une vitesse quasi-photonique en décélérant très fort et se dirige droit sur la Terre. Mais avant qu’ils ne puissent prévenir qui que ce soit, ils sont privés de moyens de communication par l’attaque d’un vaisseau de la Jukes Ltd désireuse de s’emparer de l’astéroïde qu’ils exploitent. Le vaisseau extraterrestre s’avère des plus agressifs, et tout le roman va s’articuler autour des péripéties pour récolter des informations sur ces Formiques et les transmettre à la Terre dans le contexte particulier de la société des mineurs de Kuiper décrite dans le détail, et avec un grand souci de cohérence.
Avertir la Terre reste avant tout un récit d’aventures spatiales rondement menées. Bien qu’écrit en collaboration — il est difficile de dire à qui revient quoi —, l’exceptionnel talent de conteur de Card fait toujours effet, et le livre se lit avec une grande facilité. Ce n’est évidemment pas un chef-d’œuvre, mais c’est plutôt bon pour une préquelle à vocation commerciale avant tout.