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Les critiques de Bifrost

Avilion

Avilion

Robert HOLDSTOCK
DENOËL
426pp - 24,00 €

Bifrost n° 68

Critique parue en octobre 2012 dans Bifrost n° 68

Le cycle de « La Forêt des mythagos » est assurément le grand-œuvre du regretté Robert Holdstock, et figure d’ores et déjà parmi les classiques de la fantasy. Avilion, écrit et publié bien après les volumes précédents, est le cinquième — et ultime… — roman prenant place dans le bois de Ryhope, et il vient en quelque sorte boucler la boucle, puisque les événements qui y sont rapportés sont les conséquences directes de ce qui nous fut conté dans le premier tome du cycle (lecture préalable indispensable).

Petit retour en arrière : le bois de Ryhope, en Angleterre, est un vestige de la forêt primordiale, inchangé depuis l’ère glaciaire. Plus grand à l’intérieur qu’il n’y paraît à l’extérieur, il abrite tout un monde fascinant de créatures et personnages mythiques générés par l’inconscient, les fameux « mythagos », ainsi que les a baptisés George Huxley après toute une vie de recherches passionnées les concernant.

Les héros de cet ultime volet sont Yssobel et Jack, les enfants de Steven Huxley, victorieux de son frère Christian, et de la princesse celte Guiwenneth pour laquelle ils se sont affrontés. Les enfants sont donc pour moitié humains et pour moitié mythagos, partagés en-tre le Sang et la Sève : Yssobel a son côté « rouge » et son côté « vert », quand Jack parle de — et avec — son « fantôme ».

Tous deux ont longtemps vécu avec leurs parents dans une villa romaine en plein bois de Ryhope. Mais le départ inopiné de Guiwenneth mettra fin à cette vie calme et heureuse. Yssobel se lance sur les traces de sa mère — mais tout autant, en fin de compte, sur celles de son grand-père maternel Peredur, le vieux roi, et de son oncle paternel Christian, ressuscité à la tête de l’armée intemporelle Légion — et cherche donc à se rendre en Avilion, au cœur de la forêt, que l’on connaissait jusqu’à présent sous le nom de Lavondyss. Jack, de son côté, attiré par la lisière du bois, pense trouver auprès de son défunt grand-père George, dans la vieille demeure d’Oak Lodge, les réponses qui le mettront sur la trace de sa sœur.

Ce double voyage en sens inverse est ainsi le point de départ du roman, qui emprunte largement les traits d’une saga familiale sur trois générations. Mais cette saga, qui pourrait se jouer uniquement sur le mode intimiste, vire à l’épopée en se confrontant, dans les bois, à la légende arthurienne ou encore à L’Odyssée. Et le résultat, pour déconcertant qu’il soit au premier abord — malgré la petite musique familière qui se met très tôt en place, avec le récit des aventures de Jack « à l’extérieur » —, est à la hauteur des attentes du lecteur qui s’était régalé avec les quatre volumes précédents. Avilion vient ainsi parachever le complexe édifice de « La Forêt des mythagos » de la manière la plus subtile, en jouant sur une multitude de registres.

Le roman brille à tous points de vue : écrit dans une langue impeccable, il est riche de personnages complexes et attachants — Yssobel et Jack au premier chef, mais ils ne sont pas les seuls —, et parvient à renouveler utilement les thématiques développées dans les volumes précédents. Le voyage en Avilion, quête des origines envisagée sous l’angle familial, se révèle ainsi, une fois encore, une brillante incursion dans le bois de Ryhope, aussi fascinante qu’intelligente, comme il se doit, et il y a fort à parier que l’amateur de l’œuvre de Robert Holdstock ne sera pas déçu par ce roman qui a pris bien malgré lui une forme testamentaire. On y retrouve en effet tout ce que l’on a pu apprécier auparavant dans le cycle, sans que l’auteur ne se répète véritablement pour autant — ce qui, en soi, relève déjà du tour de force.

Ce roman « approfondi » véhicule ainsi toute une gamme de sensations et de réflexions autrement plus subtiles que les lieux communs de la « big commercial fantasy », dont il constitue en quelque sorte l’antidote. On le louera pour sa finesse, son astuce, sa délicatesse aussi, qui en font le brillant témoignage d’un écrivain au sommet de son art. Lecture chaudement recommandée, même si elle ne saurait donc être envisagée isolément.

Bertrand BONNET

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