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Les critiques de Bifrost

Bad Monkeys

Bad Monkeys

Matt RUFF
UGE (UNION GÉNÉRALE D'ÉDITIONS)
301pp - 7,50 €

Bifrost n° 50

Critique parue en mai 2008 dans Bifrost n° 50

Jane Charlotte est arrêtée pour meurtre, et internée dans l'aile psychiatrique de la prison de Las Vegas. Un psychiatre, le Dr Vale, est chargé de l'interroger. Car les propos que Jane a tenus aux policiers sont pour le moins étranges : elle affirme faire partie d'une mystérieuse organisation qui a pour but d'éradiquer le mal en s'en prenant aux individus jugés dangereux pour la société. Ces individus, que l'organisation surnomme les « Bad Monkeys », sont pourchassés et éliminés par des agents spécialement formés. Jane Charlotte, mise en confiance par le Dr Vale, décide de tout dire. Guidée par les questions du psychiatre, elle raconte son enfance, ses rapports difficiles avec sa mère et son frère, son premier contact avec l'organisation, les tests qu'elle a dû subir durant son recrutement et les différentes missions qu'elle a été amenée à accomplir…

Bad Monkeys est un ovni littéraire. Au début, on pense avoir affaire à un de ces thrillers paranoïaques à base de complot et d'organisation secrète, comme on en a déjà beaucoup lu. Mais l'intrigue de Bad Monkeys dérape, se distord dès les premières pages. On comprend très vite que le monde décrit dans ce livre n'est pas tout à fait le nôtre, mais plutôt une sorte de réalité parallèle. On a alors la sensation d'être entré, presque par erreur, dans une autre dimension. Une dimension dans laquelle le lecteur perd tous ses repères, pour se retrouver piégé à l'intérieur d'un récit labyrinthique, survolté, qui l'entraîne là où il ne pensait pas aller. Rien que pour cet effet — assez traumatisant mais très jouissif — Bad Monkeys mérite d'être lu. Pas de doute, Matt Ruff connaît son Philip K.Dick, et ce n'est pas pour rien qu'on retrouve le nom du maître dans les remerciements. En fait, Bad Monkeys est un vrai trip hallucinatoire, une tentative d'hypnose textuelle. On ne sait pas très bien où on va, mais on y va, car on a vraiment envie de savoir comment va bien pouvoir se terminer cette histoire délirante. Du coup, Bad Monkeys se lit vite, très vite. Et c'est bien le but de Matt Ruff : imposer a son lecteur un rythme si vertigineux, des retournements de situation si rapides, qu'il n'a tout simplement pas le temps de réfléchir. Le bombarder en permanence d'informations contradictoires, sans lui donner la possibilité de démêler le faux du vrai. Pour donner encore plus d'impact au coup de théâtre final. C'est très malin de la part de Ruff, et ça fonctionne. Pour peu, bien sûr, qu'on accepte de rentrer dans son jeu ; car le procédé peut aussi agacer. Mais pour le lecteur qui aime se torturer les méninges, Bad Monkeys est un régal. C'est même dans le genre un sommet. En tous cas, Matt Ruff aime cultiver sa différence et s'amuse beaucoup à être toujours là où on ne l'attend pas. Jusqu'ici, on le connaissait pour deux romans : Un requin sous la lune (Folio « SF »), de la S-F assez proche de celle de Neal Stephenson ; et La Proie des âmes (Points « policier »), un thriller psychologique. Deux romans fourmillants de bonnes idées, complexes et ambitieux, mais qui avaient une fâcheuse tendance à être trop longs. D'où la belle surprise en découvrant Bad Monkeys : cette fois Ruff a su faire court, écrire un texte aussi nerveux qu'efficace, entremêler les genres avec brio, tout en conservant son inventivité et sa capacité à surprendre le lecteur. Et même si Bad Monkeys n'est pas encore le chef-d'œuvre qu'on est droit d'attendre de cet écrivain, il s'avère finalement plus convaincant et plus excitant que ces deux précédents romans. D'ailleurs, à la vitesse ou Matt Ruff progresse, je ne serais pas très surpris qu'il nous concocte, dans les années à venir, une petite bombe littéraire dont on aura du mal à se remettre. Car il n'y a pas le moindre doute : Matt Ruff est un écrivain à suivre de très près. En attendant, découvrez donc Bad Monkeys, une fiction mutante survitaminée, sidérante et accrocheuse, qui n'épargnera ni vos neurones ni vos nerfs. Vous voilà prévenus.

Xavier BRUCE

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