Avec la sortie du présent ouvrage aux éditions Tristram, une page se tourne puisque se termine de manière flamboyante —mais un peu triste, convenons-en, de par la disparition récente de l’auteur — l’intégrale des nouvelles de Ballard. Ce tome trois est accessoirement, pour nous Français, le dernier livre — partiellement — inédit de l’auteur. Il nous faudra désormais nous résigner : nous n’aurons en principe plus jamais l’occasion, à moins de découvrir un manuscrit inédit ou inachevé — on songe notamment à un roman de jeunesse, évoqué ici et là —, de lire une quelconque nouveauté du génial britannique. Encore qu’il écrivait au moment de sa disparition un ouvrage en collaboration avec son médecin. Alors, sait-on jamais…
Quoi qu’il puisse advenir, Ballard restera, nous en avons fait la démonstration dans le numéro que nous lui avons consacré l’an dernier, comme un des meilleurs auteurs de son temps, tous genres confondus.
Pour nombre de ses admirateurs, dont je suis, il était certes un bon romancier classique (La Forêt de cristal, Le Monde englouti, Empire du soleil), voire parfois un exemplaire romancier « expérimental » (Atrocity Exhibition, Crash !), mais il devrait surtout demeurer comme un nouvelliste hors du commun, le plus important peut-être de la science-fiction moderne. De ce point de vue, que les choses soient claires : ce dernier volet de l’intégrale ne rassemble pas de nouvelles écrites sans conviction par un auteur vieillissant, mais tout au contraire la quintessence d’un écrivain au sommet de son art. Pour preuve, se trouvent réunis ici, entre autres, les textes d’Appareil volant à basse altitude (Denoël, « Présence du futur », 1978) et ceux de ses deux derniers — et meilleurs ? — recueils. Je veux parler de Fièvre guerrière, paru en 1992 chez Fayard, et surtout du cultissime Mythes d’un futur proche, qui faillit en son temps (1984) clôturer la belle collection de Robert Louit, « Dimensions ».
Y apparaissent, dans une Floride retournée à l’état sauvage et écrasée par le soleil, un Cap Kennedy abandonné et envahi par les oiseaux, des piscines asséchées, une humanité quasi inexistante, représentée par quelques astronautes vivant dans leurs souvenirs et assaillis par de mystérieuses absences. Comme le dit Ballard, « un petit bout d’espace était mort ». Oui, mais peut-être est-il possible de s’affranchir de la mort ou de la pesanteur dans cet univers à l’agonie. C’est en tout cas ce que semblent croire certains, persuadés qu’ils parviendront à s’envoler un jour ou à fabriquer une machine à remonter le temps au moyen de bandes vidéo, de photos pornographiques et de reproductions de Magritte ! Surréalisme, quand tu nous tiens…
On y retrouve en outre, en plus de « L’Autobiographie secrète de J.G.B*** » que nous vous avions proposée dans notre numéro 59, ou du fameux « Ce que je crois », une demi-douzaine de nouvelles inédites, les toutes dernières écrites par l’auteur et issues pour la plupart des pages d’Interzone, ainsi —cerise sur le gâteau ! — que sa toute première, publiée en 1951, soit cinq ans avant ses débuts officiels dans Science Fantasy, et que Bernard Sigaud, maître d’œuvre, nous propose alors qu’elle ne figure pas dans l’édition originale de l’ouvrage : une quasi avant-première mondiale vu qu’elle n’avait jamais été rééditée depuis sa parution initiale ! Une nouvelle où le Ballard d’Empire du soleil montre déjà le bout de son nez.
La boucle se trouve donc bouclée…
Au point où nous en sommes, il ne nous reste plus qu’à remercier ledit Bernard Sigaud pour son remarquable travail sur cette intégrale, et Tristram, un éditeur pas comme les autres (ouvrages de Mark Twain, Princesse Sapho, Hunther Thompson ou William Burroughs), qui s’impose peu à peu comme l’un des plus intéressants du paysage national.